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Le nombre de celles-ci allait rapidement se grossir. En quelques semaines, sous l’active impulsion des conventionnels, les projets à peine ébauchés par l’assemblée des Allobroges se précisent et se transforment en mesures arbitraires et vexatoires. Toutes les lois de la République sont appliquées en Savoie. La nation s’empare des biens du clergé et des émigrés. « Ils seront vendus comme en France, et quiconque en deviendra acquéreur pourra les payer en assignats[1]. » C’est le cours forcé des assignats établi. Sont successivement décrétées la création d’un tribunal criminel, la liberté de la presse, l’application de la constitution civile au clergé.

Plus tard, ce sera pire encore. Tandis que, d’une part, on changera le nom des rues « afin de former l’esprit public en faisant disparaître les anciennes nomenclatures qui pourraient entretenir l’idée de fanatisme et de féodalité, » tandis qu’on fêtera le culte de la déesse Raison et qu’on la promènera processionnellement dans les communes, d’autre part, on dépouillera les couvens et les églises. Cloches, vases sacrés, ornemens sacerdotaux, riches bibliothèques, tout sera versé au trésor public, pêle-mêle avec l’argenterie des émigrés dont les biens ont été saisis.

Les arrestations commencent et promptement se multiplient. On emprisonne l’évêque dans son palais et, s’il y est laissé, « c’est que son âge et la caducité de ses organes ne permettent pas de le traiter avec plus de rigueur. » Mais, on n’use des mêmes ménagemens ni envers les prêtres et les moines qui refusent le serment constitutionnel, ni envers les nobles, les bourgeois et les paysans déclarés suspects soit en raison des opinions qu’on leur attribue, soit parce qu’ils sont pères et mères d’émigrés. Ceux de ces rebelles qui n’ont pu s’enfuir sont incarcérés.

Les maisons de détention, bien qu’on en ait fait partir les criminels condamnés aux fers, ne suffisent bientôt plus à contenir tous les infortunés qu’on y a logés et dont le nombre s’accroît sans cause. Alors, on déporte les prêtres. C’est dans la nuit qu’on procède à cette opération précédée de la menace de tirer sur les curieux « qui se mettraient aux fenêtres pour les voir passer. » Malgré ces mesures, la place continue à manquer dans les prisons. Le 15 septembre 1793, le procureur syndic du Mont-Blanc

  1. Ces détails et ceux qui suivent nous sont fournis par les documens conservés aux Archives de Chambéry.