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écrit de Chambéry à Philibert Simond : « Les prisons de cette ville sont engorgées depuis quelque temps et au point qu’elles ne peuvent plus suffire aux besoins de la sûreté publique et que, par le trop grand rapprochement des prisonniers, la dysenterie et autres maladies putrides s’y manifestent et deviennent de jour en jour plus nombreuses. Hier encore, l’on nous a annoncé que, si l’on n’y remédiait bientôt, les pharmacies de cette ville ne suffiraient plus aux remèdes. »

Pour faire cesser cet encombrement, le procureur-syndic imagine de demander à l’administration du département de l’Isère de recevoir le trop-plein des prisonniers. Celle-ci consent. Mais les réquisitions du magistrat éveillent dans le Conseil général de Chambéry de vives protestations suggérées par les craintes que cause aux protestataires l’éventualité d’un retour offensif du roi de Sardaigne. On leur répond qu’en ce cas on aura des otages contre lui, et les réquisitions sont approuvées. On entasse les prisonniers sur des charrettes et on les expédie à Grenoble, enchaînés comme des malfaiteurs. En même temps, les propriétés ecclésiastiques, celles des émigrés et des condamnés sont mises en vente, contenant et contenu. Sur les murs de Chambéry, on commence à lire des affiches comme celle-ci : « Ceux qui voudront acheter en gros ou en détail les appartemens au troisième étage de la maison dite de Faverges, située en la rue Cathédrale, pourront s’adresser au notaire Girard, qui leur donnera tous les renseignemens qu’ils désireront. »

Enfin, comme couronnement à tant d’exactions, le comité de salut public du département vote un crédit de six cents francs, destiné à l’achat d’une guillotine. Il est juste d’observer que cette guillotine, soit qu’on ait hésité à la mettre en mouvement, soit qu’elle ne soit jamais arrivée à sa destination, n’a pas fonctionné[1]. Mais, on n’en saurait conclure que la Savoie n’a pas payé à la Terreur son tribut de sang. Sur la frontière du Piémont, il y a eu des victimes tombées sous les balles, sans qu’il soit possible d’en établir le nombre. D’autre part, la liste qu’on 1 a pu dresser des natifs de Savoie exécutés en l’an II à Paris, à

  1. Il existe aux Archives de la Justice une Correspondance de laquelle il résulte que le fabricant de guillotines ne pouvait suffire à toutes les commandes. On lui adressait des réclamations et des plaintes où l’on peut voir qu’en plusieurs départemens, les sentences capitales prononcées par les tribunaux révolutionnaires n’étaient pas exécutées parce que l’instrument de mort manquait.