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lui-même. Enfin il aimait dans ses compatriotes de Bretagne, quelque distance qu’il eût mise entre eux et lui, ce vieil esprit celtique dont il avait si bien compris la pudeur inquiète, réservée et timide au milieu des plus énergiques élans vers l’idéalisme, et la pensée qu’on se servirait un jour de son nom pour les offenser et les contrister, lui aurait fait horreur. Il aurait goûté les discours de MM. Berthelot et Anatole France : le premier était conforme à sa conception de la science et du monde, et le second à sa manière. L’éloquence officielle de M. le ministre de l’Instruction publique lui aurait semblé à sa place dans une cérémonie où il fallait bien que le gouvernement parlât, mais où il avait d’ailleurs peu de chose à dire. M. Chaumié n’est pas sorti de ce rôle discret : aussi les journaux qui soutiennent le gouvernement l’ont-ils violemment accusé de le trahir. Il n’a pas été jugé assez anticlérical. M. Homais a été mécontent de lui. En revanche, il a été pleinement satisfait de M. Combes qui, à la vérité, n’a pas pris la parole au pied de la statue de Renan, mais seulement le soir à un banquet. Aussi, de Renan, pas un mot : et il faut savoir gré à M. Combes d’avoir montré par-là qu’il n’était pas venu à Tréguier pour faire de l’esthétique et de la philosophie. Il a parlé des moines, de l’Église, de la réaction, du service de deux ans, de la paix, de l’arbitrage, de notre situation financière. Qu’en a-t-il dit ? Rien d’original à coup sûr. Il a fait un discours de réunion publique, qui aurait été tout aussi à sa place à Carpentras qu’à Tréguier, ou plutôt qui y aurait été davantage : on était à des millions de lieues de Renan ! Cette exploitation d’un nom célèbre au profit de la politique actuelle avait quelque chose de choquant. Quant à deviner ce que Renan aurait pensé de cette politique, nous n’essaierons pas de le faire. Il n’y a pas de jeu d’esprit plus décevant que celui qui consiste à faire parler un mort, surtout lorsqu’il a parlé quelquefois lui-même avec une subtilité déconcertante. Disons-le toutefois, si Renan a eu beaucoup de dédain, il n’a jamais eu de haine, et les passions sectaires n’ont jamais obscurci la sérénité de son esprit, naturellement enclin à la tolérance et à la liberté. Quelle aurait été son impression si, quinze jours après le discours de M. Combes, il avait pu voir, à Hennebont, la scène de violence sauvage où une procession inoffensive a été mise en déroute et où les catholiques ont été assiégés dans l’église ? Peut-être aurait-il cru qu’il y avait relation de cause à effet entre le discours et l’émeute. Il s’était toujours appliqué, pour son compte, à parler délicatement aux esprits et non pas brutalement aux passions. M. Combes a fait le contraire et les passions ont répondu. C’était un nouvel aspect de la Bretagne. Mais