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L’ancolie au front obscurci
Qui se penche sur les bruyères,


a dit Nodier.

« J’ai rimé pourtant ce sonnet pensé et noté au passage de Ballaigues à Jougne le 2 juin ; n’aura-t-il rien perdu de sa tendresse de verdure en attendant ? Quoi qu’il en soit, le voici :


J’ai revu ces grands bois dans leur feuille nouvelle,
J’ai monté le versant fraîchement tapissé.
A ces fronts rajeunis chaque vert nuancé
Peignait diversement la teinte universelle.
Près du fixe sapin à verdure éternelle,
Le peuplier mouvant, le tremble balancé,
Et le frêne nerveux tout d’un jet élancé
De feuille tendre encor comme la fraxinelle.
Le mélèze lui-même, au fond du groupe noir,
Avait changé de robe et de frange flottante ;
Autant qu’un clair cytise il annonçait l’espoir.
O mon âme, disais-je, ayons fidèle attente !
Ainsi, dans le fond sûr de l’amitié constante,
Ce qui passe et revient est plus tendre à revoir.


« A propos des vers dont vous êtes la grande dépositaire (car je pense toujours à la postérité, c’est-à-dire à la mort), il faudrait absolument, dans le sonnet traduit d’Uhland[1], à la place du vers :


Et moi qui toutes deux les voyais et chacune,


qui est trop contourné, écrire de votre main ainsi :


Et moi qui les voyais toutes deux et chacune


qui est plus direct et simple. — Voyez à quel point, cher Olivier, je suis de l’École de Boileau.

« J’en suis d’autant plus qu’une de mes grandes affaires depuis mon retour est de mettre en train l’édition Fontanes. Je souris parfois de mon zèle, si naturel d’ailleurs, pour ce charmant poète, mais je pense à l’air de converti que j’aurais si je mourais là-dessus : il a commencé par Ronsard pour finir par

  1. Ce sonnet est la première pièce du petit recueil intitulé : Un Dernier rêve, qui lui fut inspiré par les deux jeunes filles du général Pelletier. On sait qu’il avait un moment caressé le rêve d’épouser la plus jeune et quel chagrin il ressentit de n’avoir pu le réaliser. Cf. à cet égard sa lettre au général Pelletier (t. I, p. 110 de sa Correspondance). Il en sera question plus loin dans une épître à Olivier.