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claire terrasse où les grands bouddhas, sur leurs trônes d’or l’attendent, souriant de paix mystérieuse.


Enfin voici la lumière, voici les seuils sacrés. Mais, avant d’y poser le pied, arrêtons-nous au portique étonnant qui se dresse à la sortie de ce tunnel. C’est une station que l’on médite ; des cierges y brûlent avec des parfums, épanchent un premier effluve religieux.

Une architecture de bois, comme les japonaises, comme presque toutes celles d’Extrême-Orient, mais quel miraculeux outil en a fouillé la substance, l’allégeant comme une mousse, la spiritualisant à force d’évidement et de ciselure ? De toutes ces pointes, de toutes ces courbes des épaisseurs ajourées débordent, sinueuses comme une pâte coulante qui se serait figée là. Dans ces draperies d’ébène qui tombent des toitures fluent, s’enroulent, s’enlacent toutes les lignes végétales, animales, humaines. Des dieux et des génies y pullulent, bordant les lignes de contour de leurs légions mitrées, et leurs corps ondoient mystiquement, montent comme une frange de flammes. Et des éléphans, des singes, des oiseaux, des chevaux, des bœufs traînant des chars ; des grappes de fruits mêlées aux entrelacs des branches et des feuilles, tout cela confus, innombrable, mais secrètement conduit par de subtiles arabesques : lignes infinies qui circulent par-dessous comme dans une symphonie de Wagner. Vieux panthéisme de l’Inde qui n’a trouvé son analogue que dans l’Allemagne moderne, vieux sentiment hindou du développement, de l’incessante germination, de l’ondoiement sans fin et vaporeux des formes, — mais exprimé avec quelle patiente minutie chinoise, traduit suivant quels rythmes propres à l’admirable sentiment décoratif de ces races jaunes ! Au-dessus de ce rêve fourmillant, les franges d’un cocotier mettent la présence lourde et somptueuse de la nature équatoriale.

Mais vite, à travers une bouffée d’encens, nous franchissons la colonnade trapue de ce portique. Aussitôt, une fantastique apparition, un décor que nulle cervelle d’Europe n’aurait inventé ! Au milieu du plateau dallé, une large, une circulaire masse d’or, la base d’un prodigieux monument sonnette qui monte, se renfle, surgit au-dessus de tout, se rétrécit, s’élance en flèche à trois cent trente pieds de hauteur. Rayonnant essor ! D’un trait, le regard file à sa suite, monte jusqu’au délicat bijou