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qu’un gentilhomme français, promu aux plus hautes dignités, un magistrat chargé de maintenir les lois, un Hérault de Séchelles en un mot, s’associe et préside cette horde effrénée, trahisse son corps, assassine son roi, c’est le comble de la scélératesse et de l’abomination. »

Ces propos ne sont pas pour l’émouvoir, ni pour le ramener en arrière. Il est probable qu’il y répond, en haussant les épaules, ce qu’il a déjà répondu à un ami qui lui faisait part de l’indignation et de l’étonnement que suggérait sa conduite politique à l’illustre Lavater :

— Ces gens-là ne comprennent rien à notre situation !

Peut-être, d’ailleurs, à côté de cette lettre vengeresse, en a-t-il trouvé d’autres d’un ton très différent, propres à la lui faire oublier, quelque billet doux de sa maîtresse du moment, d’autant plus appliquée à le flatter et à lui plaire qu’il devient chaque jour plus puissant. Rien n’étant indifférent dans l’existence d’un homme tel que celui-ci, on ne saurait passer sous silence les traits qui démontrent que les préoccupations et les soucis de sa vie publique n’apportaient pas d’entraves à sa vie de plaisirs. Il continuait à mener de Iront l’une et l’autre.

Sa liaison avec Mme de Saint-Amaranthe, veuve d’un honorable officier, dégringolée dans les bas-fonds de la galanterie jusqu’à devenir tenancière d’une maison de jeux au Palais-Royal[1], avait déjà fait quelque bruit. Des personnalités politiques fréquentaient les salons de cette femme. Hérault de Séchelles s’y était trouvé avec beaucoup d’autres et avait eu part à ses faveurs. Sa jalousie, sa mobilité, et plus encore la lassitude avaient brisé cette chaîne fragile. Il était alors tombé dans les mains d’une sirène qui ne valait pas mieux : Barbe-Suzanne Giroux, épouse Quillet, plus connue sous le nom de Mme de Morency, maîtresse du député Quinette, jeune et jolie créature, extravagante et détraquée, à qui l’on doit, outre quelques romans publiés sous le Consulat et l’Empire, cette profession de foi qui la juge et la classe : « La connaissance que j’ai des hommes m’a appris à traiter l’amour cavalièrement. » Elle traita de la sorte son mari, Quinette, Fabre d’Eglantine, Biron, Dumouriez et une infinité d’autres. Dans un de ces romans quelle prétend être

  1. On sait qu’elle fut envoyée à la guillotine peu de temps avant le 9 thermidor, avec sa fille, son fils et son gendre Sartines, dans la fameuse fournée dite des « Chemises rouges. »