Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/902

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soumission aux lois. Mais ce déguisement, pas plus que son langage, ne trompait personne. Il avait beau prodiguer aux paysans les : « Bonjour, citoyen, » ceux-ci lui répondaient :

— Bien le bonjour, monsieur le marquis.

— Mécontent, il répliquait :

— Citoyens, tous les hommes sont égaux.

— Vous êtes bien bon, monsieur le marquis. C’est vrai pour nous autres, mais pas pour vous.

Ayant reçu cordialement ses nièces, il voulut les présenter à la municipalité de Chenoise. Quand il entra avec elles dans la salle de la mairie, tous les conseillers se levèrent avec respect et, malgré ses adjurations, refusèrent de s’asseoir devant « ces demoiselles » et devant lui. Irrité par ces marques de déférence, il prétendait que ceux qui les lui prodiguaient cherchaient à le rendre suspect et à le faire arrêter. Il ne tarda pas à l’être. Ses nièces ne devaient pas le revoir, bien qu’après thermidor il eût recouvré sa liberté et qu’il ait survécu pendant plusieurs années à son fils, l’un de chefs de l’armée royaliste à Quiberon.

C’est à la même époque qu’Adèle de Bellegarde entreprit de faire prononcer son divorce. En se donnant tout entière à Hérault de Séchelles, et en laissant sa sœur se compromettre avec Philibert Simond, elle n’avait pu se dissimuler le caractère définitif de leur chute commune. Le chemin glissant qu’elles venaient de descendre avec une rapidité vertigineuse, elles ne le remonteraient jamais. Les liens de famille qu’elles avaient volontairement brisés ne se renoueraient pas. Elles le savaient au moment où elles quittaient la Savoie. Le séjour de Paris ne pouvait que fortifier cette conviction. De là, sans doute, le désir que conçut la jeune femme de consommer la séparation conjugale dont elle avait pris si lestement l’initiative.

La loi sur le divorce récemment promulguée lui fournissait le moyen de se rendre libre. Les exemples de quelques femmes de son monde qui ne craignaient pas d’en user eurent pour effet de transformer son désir en décision. Quelque usage qu’elle comptât faire de sa liberté, et peut-être avec l’espoir qu’Hérault de Séchelles l’épouserait, elle se livra aux démarches qui devaient la conduire à son but. Ces démarches n’étaient pas bien compliquées. Les mesures édictées contre les émigrés contribuaient à les faciliter. Il suffisait à l’un des époux de faire