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tranquillité et le bonheur des années qui me restent à vivre te tiennent à cœur. Plus tard, mon cher Arthur, quand l’âge t’aura fait voir plus nettement certaines choses, nous nous entendrons mieux, et peut-être aurai-je alors mon meilleur temps dans ta maison, au milieu de tes enfans, comme il convient à une vieille grand’mère… En attendant, voici sur quel pied nous devons vivre ensemble. Dans ton logis, tu es chez toi ; dans le mien, tu es un hôte, un hôte bienvenu, toujours bien accueilli, mais qui ne se mêlera de rien… À mes jours de réception, tu dîneras chez moi, si tu veux réprimer ta fâcheuse envie de disputer, qui me contrarie, et t’abstenir de tes éternelles lamentations sur la sottise humaine et les misères de ce monde, qui me donnent de mauvais rêves et m’empêchent de dormir[1]. »

Arthur accepta tout. Son unique pensée était de s’instruire, et il était décidé à s’y employer avec acharnement. Il avait l’ambition de figurer un jour avec honneur dans ce groupe illustre où il n’apparaissait encore que comme un original. Ses premiers rapports avec Goethe furent tout extérieurs. Lui-même n’était pas homme à faire des avances, même à plus grand que lui, et Gœthe, dit-il, « ne lui adressait pas habituellement la parole[2]. » Il eut pour principal directeur, à Weimar, comme à Gotha, un helléniste : c’était Franz Passow, seulement de deux ans et demi plus âgé que lui, plus tard professeur à l’université de Breslau, et qui remania et compléta le dictionnaire grec-allemand de Schneider. Schopenhauer devint un classique déterminé, nourri des poètes grecs et latins. Il écrivit alors sur la première page de son Homère cette oraison dominicale en hexamètres, qui rappelle la Prière sur l’Acropole de Renan :

« Notre Père Homère, toi qui maintenant, avec le noble Achille, — te promènes dans les bosquets de l’Elysée, que l’on nom soit sanctifié ! — que l’on esprit nous visite, et, comme, au pays des ombres, — ta lyre se fait entendre, qu’ainsi elle retentisse jusque sur la terre, — elle dont les accords chassent de nos âmes le souci du pain quotidien, — et qui, charme merveilleux de l’oreille, réconcilierait les Centaures avec les Lapithes ! — Cependant, que jamais ton génie ne nous induise à la tentation d’une lutte inégale ! — Mais délivre-nous seulement pour quelques instans de la destinée de ce monde ! — Car à toi

  1. Gwinner, ouvrage cité.
  2. Non me alioqui solebal (Vitæ curriculum. 1819).