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Londres. Schopenhauer, ayant amené Bunsen à Weimar pendant les vacances de Pâques de 1811, le présenta à Gœthe. Il eut, à la même époque, une conversation avec Wieland, à la suite de laquelle celui-ci dit à Johanna Schopenhauer : « Je viens de faire la connaissance d’un jeune homme qui sera un jour un grand philosophe. »

La carrière universitaire de Schopenhauer se termina par trois semestres passés à Berlin (octobre 1811 à mai 1813). Ce qui l’attirait surtout dans cette ville, c’était le désir d’entendre Fichte, pour lequel il avait conçu à distance « une admiration a priori » qui ne résista pas à l’épreuve. Plus tard, il aimait encore à parodier « le petit homme à la face rougeaude, au regard perçant et aux cheveux hérissés, » jouant devant ses auditeurs la comédie du moi et du non-moi. En réalité, ce qui l’éloignait de Fichte, c’était le dogmatisme du fond et le caractère oratoire de la forme. Le cours de Schleiermacher sur l’histoire de la philosophie au moyen âge le laissa indifférent. Mais il se passionna pour les leçons de Bœckh sur Platon, et plus encore pour celles de Wolf sur Aristophane et sur Horace ; le poète latin devint un de ses auteurs favoris. Au printemps de l’année 1813, il quitta Berlin, jugeant son instruction universitaire suffisante, et il songea à la rédaction de sa thèse de doctorat, qui fut son premier ouvrage important.

Schopenhauer a vingt-cinq ans. Ses années d’apprentissage sont terminées, « des années d’apprentissage qui, chose peu ordinaire, viennent après les années de voyage[1]. » Sa jeunesse a été longue, sa maturité tardive. Tout son développement a été marqué par un effort continu, âpre et persistant, qui est empreint sur ses traits. On a deux portraits de Schopenhauer, du temps de sa jeunesse. L’un est un pastel, attribué à Gerhard de Kugelgen, un ami de Fernow ; il date de 1809. L’autre, de 1814, est un portrait à l’huile, fait par Louis-Sigismond Ruhl, un élève de l’Académie des beaux-arts de Dresde, plus tard conservateur du musée de Cassel[2]. Les deux portraits s’accordent assez, ce qui est une garantie d’exactitude. Les yeux sont brillans, bleus comme ceux de Johanna Schopenhauer, profondément encaissés et très espacés. Le nez est finement tracé vers

  1. Kuno Fischer, Geschichte der neueren Philosophie, t. VIII.
  2. Le premier sert de frontispice à la biographie de Gwinner, le second aux Schopenhauer Briefe de Schemann.