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très indépendans les uns des autres, auxquels nos deux politiques pouvaient s’attacher. Dès qu’on a bien voulu se prêter mutuellement quelque attention, ou plutôt quelque confiance, on s’est compris, et cette énorme montagne de malentendus, bien plus haute que les Alpes, que la mauvaise foi des uns et la crédulité des autres avaient dressée entre les deux pays, s’est évanouie comme par enchantement. La réconciliation était mûre ; elle s’est faite vite, et on a commencé à se demander à Rome et à Paris comment on avait pu la retarder aussi longtemps. Le motif en est simple, et nous l’avons déjà donné : c’est que la difficulté était dans les imaginations et non pas dans les intérêts. Les hommes une fois changés et leurs dispositions modifiées, le reste est devenu facile. Il a suffi de se tendre la main.

A la vérité, l’Italie est restée dans la Triple-Alliance : elle a même renouvelé hâtivement et formellement le contrat qui la lie à l’Allemagne. Mais l’assurance nous a été donnée qu’en aucun cas il ne pourrait en résulter pour elle une obligation agressive contre nous. Il y a des manières très différentes de faire partie d’un système d’alliance, et, par exemple, nous n’avons jamais pris ombrage de celle dont l’Autriche-Hongrie faisait partie de la Triplice : nous sommes convaincus que c’est sans aucune mauvaise intention à notre égard. Il n’en a pas toujours été de même de l’Italie : mais il y a loin, heureusement, de M. Crispi aux ministres qui lui ont succédé, à partir de M. Visconti- Venosta, et même de M. di Rudini. Ils ont été, en effet, du côté italien, les véritables initiateurs de la politique nouvelle. A partir de ce moment, tout a pris une autre face. C’est l’affaire de l’Italie de savoir si elle a intérêt à rester attachée à la Triplice ; nous croyons, quant à nous, qu’elle serait tout aussi forte et aussi respectée si elle était absolument indépendante et prête à profiter de toutes les circonstances, car personne ne la menace et n’a profit à le faire ; mais encore une fois cela ne regarde qu’elle, et c’est un ordre de considérations dans lequel nous n’avons pas à entrer. Il suffit de l’indiquer. Quoi qu’il en soit, l’Italie a éprouvé le désir et le besoin moral de se rapprocher de nous : elle a trouvé de notre côté des dispositions semblables aux siennes. Rien ne nous divise plus, si tant est que nous ayons jamais été divisés par quelque chose de réel. Le roi Victor-Emmanuel vient à Paris, accompagné de la gracieuse reine Hélène : ils y seront reçus l’un et l’autre avec la sympathie la plus respectueuse et la plus vive. On se rappelle que, lors des premières manifestations du rapprochement franco-italien, le chancelier de l’Empire allemand a été appelé à s’en expliquer devant le Reichstag.