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poitrine et invoquent l’exemple des Croisades. On s’embusque la nuit pour guetter, pour frapper l’adversaire, et on croit gagner le ciel par l’assassinat. Explosion effrayante de patriotisme et de fanatisme dont l’Empereur ne sait ni prévoir, ni comprendre la violence ! Pendant que l’Espagne se soulève presque tout entière, il continue à vivre dans une atmosphère de confiance et de sécurité. Ces bandes de paysans armés ne lui inspirent aucune inquiétude. Quelques expéditions bien conduites en viendront facilement à bout. Ce serait peut-être vrai s’il avait envoyé en Espagne la fleur de son armée, ses meilleurs soldats et ses meilleurs généraux, surtout s’il avait fait tout de suite l’effort nécessaire. Cent cinquante mille hommes vigoureusement commandés auraient pu étouffer l’insurrection dans l’œuf et momentanément au moins intimider le pays. Mais aucune précaution n’avait été prise. L’Empereur ne sachant même pas qu’il y avait une armée régulière espagnole, comptant n’avoir affaire qu’à des paysans sans cohésion, sans discipline et sans chefs, croyait pouvoir les réduire en quelques semaines par de simples promenades militaires. Au moment le plus critique, sa correspondance témoigne d’un optimisme très inattendu de la part d’un esprit si avisé et en général si averti.

Contre un ennemi qu’il dédaigne il ne croit pas nécessaire de se livrer à un grand effort. Pour des opérations de gendarmerie, les seules qu’il prévoie, les soldats seront toujours assez bons et les chefs suffisans. Il entend d’ailleurs ne pas se dépouiller, il tient à conserver sous sa main les effectifs de la Grande Armée, ses régimens les plus solides et l’élite de ses généraux. C’est de ce côté seulement que doivent se porter les grands coups, c’est là où il se trouve de sa personne que doivent être concentrés les moyens d’action les plus puissans. Ses lieutenans qui se battent au loin se tireront d’affaire comme ils pourront. Quant à lui, il a besoin de rester maître de toutes ses forces. Aussi n’enverra-t-il en Espagne que des généraux et des soldats de second ordre : Murat, le plus hardi de ses cavaliers, Savary, le plus fidèle et le plus obéissant de ses séides, tous deux d’un dévouement presque aveugle, mais tous deux étrangers aux grandes conceptions militaires, sans initiative personnelle hors de la vue du chef, infiniment plus en état d’exécuter un ordre donné que de le donner eux-mêmes.

Derrière eux un ramassis de soldats venus de tous les coins