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qu’il veut conquérir. Il n’a pas la plus légère idée de la résistance que lui opposeront les mœurs, les sentimens religieux, le patriotisme des habitans. Il croit n’avoir devant lui que des bandes indisciplinées dont on viendra facilement à bout. Quand il ordonne à Dupont de marcher sur Cadix, il croit lui prescrire une opération facile, presque une simple opération de police. Mais la situation est tout autre qu’il ne la suppose. Non seulement l’Andalousie est défendue par son sol montagneux, par ses rochers, par ses gorges étroites si favorables à la guerre de surprises et d’embuscades. Mais, sans compter les guérillas, elle ne manque ni de soldats disciplinés, ni de cadres inférieurs, ni d’officiers. Ce ne sont pas des bandes de partisans qui vont fermer la route à Dupont. C’est une armée régulière de 34 000 hommes, puissamment organisée par la junte suprême de Séville, pourvue d’une artillerie excellente, commandée par un officier vigoureux, plein de patriotisme, Castaños. Contre de tels adversaires, de quelles ressources dispose Dupont ? Quels élémens de combat Napoléon lui met-il entre les mains ? N’en croyons presque jamais les chiffres officiels donnés par l’Empereur. C’est un calcul chez lui de grossir les forces qu’il attribue à ses lieutenans pour augmenter leur responsabilité. De loin, sans tenir compte des déchets, il estime l’armée de Dupont à 21 000 hommes. En réalité pour traverser l’Andalousie, en défalquant les malades, les traînards égorgés sur les routes, les déserteurs, il ne reste au malheureux général que 12 000 combattans valides.

Dupont fait la guerre depuis trop longtemps pour ne pas comprendre la gravité de la situation. En attendant qu’il puisse prendre l’adversaire corps à corps, il se sent entouré d’ennemis invisibles, coupé de ses communications avec le quartier général, menacé sur ses derrières et sur ses flancs. Il envoie à Madrid courrier sur courrier pour demander du secours. Malheureusement on intercepte ses lettres, on assassine ses envoyés. Savary, esprit court et de peu d’envergure, ne supplée pas par son initiative à l’absence de relations avec le corps d’armée d’Andalousie. Ne recevant de loin en loin que de rares messages, il ne soupçonne même pas l’existence d’un péril. Lorsque enfin, à la suite d’une dépêche plus pressante arrivée par hasard, il se décide à faire partir le général Vedel pour servir d’échelon et d’appui à Dupont, il conserve contre toute évidence un imperturbable optimisme. Vedel n’a pas pour instructions, comme il aurait dû