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qu’engloutira la Péninsule, soldats qui manqueront sur d’autres champs de bataille, qui eussent pu sauver la fortune de la France à Leipzig et à Waterloo. Le conquérant ne voit pas comme nous la conséquence de ses actes, il ne devine pas encore ce que lui coûtera la folie criminelle de la guerre d’Espagne. Peut-être cependant a-t-il eu un frisson d’inquiétude et un pressentiment sinistre. En tous cas, il a éprouvé une humiliation profonde, et cela suffit pour expliquer sa fureur.

Le soldat aussi, l’homme qui a créé la première armée du monde, qui fait reposer toute sa grandeur sur l’accomplissement des vertus militaires, se révolte contre l’idée de capitulation. Bon pour les Autrichiens de capituler à Ulm, pour les Prussiens de capituler à Ratkau ! Est-ce que la Grande Armée connaît de telles faiblesses ? Verrait-on désormais les soldats français accepter la possibilité de déposer leurs armes aux pieds de l’ennemi ? Une telle honte doit rester un fait isolé, unique dans nos annales militaires.

On n’examinera pas si les signataires de la capitulation de Baylen ont des circonstances atténuantes à faire valoir, s’ils n’ont fait que subir par la faute des autres une nécessité inéluctable. On les traitera avec ignominie, comme des criminels, afin d’éviter le retour de semblables faiblesses. Leur condamnation servira d’avertissement et d’exemple. Tout le monde connaîtra le sort qui attend ceux qui, dans l’avenir, oseraient capituler. Ni grâce, ni pitié, ni justice pour eux. La dégradation et le déshonneur. Puisque, contre toutes les prévisions, une telle défaillance a pu se produire dans une telle armée, la loi en empêchera le retour. Berthier traduisait certainement la pensée impériale lorsque, dans les délibérations du Conseil d’enquête, il prononçait la parole décisive : « Un corps d’armée ne doit jamais capituler en rase campagne, son devoir est de brûler tous ses équipages, de se serrer en masse et de se faire jour à la baïonnette, ou de mourir honorablement. » Deux mois après, en vertu d’un décret, toute capitulation en rase campagne était déclarée criminelle et punissable de mort. C’était l’épilogue de la journée de Baylen.


A. MEZIERES.