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semblables. Tristement on reconnaît l’espèce extraordinaire et supérieure à laquelle on appartient.

Un ménage anglais établi depuis vingt ans à Calcutta. Le mari est chef d’une grande maison d’exportation et ne peut prendre de congés tous les trois ans comme les fonctionnaires. Il a fallu se résigner aux saisons chaudes ; à présent, ils sont tout à fait acclimatés, parlent couramment l’hindoustani, le bengali : c’est le vrai type colonial, accepté, respecté par les indigènes et qui devient rare, depuis que les civil servants retournent trop souvent en Europe pour vraiment s’établir dans le pays. Les enfans n’avaient pas trois ans et commençaient à blêmir quand ils sont partis pour l’Angleterre. Ils ont grandi dans les pensions du Devonshire et de la Cornouailles. A peine si les parens les ont revus deux ou trois fois. De telles séparations sont la règle. — Non qu’il soit impossible d’élever les enfans européens sur la terre de l’Inde : il y a des écoles aux stations d’altitude. Mais, disent-ils, on constate que malgré toutes les précautions, sous des influences obscures, le petit Anglais dégénère, se rapproche de l’Hindou ; que pour l’activité, l’élan de vie, la belle humeur, la trempe de caractère ; il devient inférieur à la moyenne anglaise. Or les Anglais ont le culte de ces qualités-là. Leur principe, c’est qu’elles seules font la valeur de l’étoffe humaine, la supériorité d’un individu et d’une race, l’idéal pédagogique étant bien moins de cultiver et meubler l’esprit que de développer les facultés d’initiative, de ténacité, de résistance, d’attention, d’assurer l’équilibre de l’âme, de la fixer à l’idée de la règle et du devoir, et cela d’abord par une hygiène physique qui procure l’énergie et la paix nerveuses, par une hygiène morale qui appuie l’être à des sentimens durables et des certitudes traditionnelles.

Grand train de vie de ces marchands puissans (un peu vulgaires). Ceux-ci — qui ne font point partie de la « société » à Calcutta — ont vingt domestiques sous les ordres d’un majordome qui les engage, les renvoie à son gré, répond de leurs fautes, dirige tout, la maîtresse de maison n’ayant d’autre souci que d’ouvrir périodiquement son tiroir à roupies.

L’homme pourrait quitter les affaires ; il n’en a point l’idée. Au bureau cinq heures par jour, sous la pankah, en bras de chemise au milieu de ses commis indigènes, car, chose étrange, les heures de business sont les mêmes qu’à Londres dans la froide City. En avril, en mai, le thermomètre monte à 45°, le ciel est