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bord de son pagne, ne sont pas nus, mais chaussés de mules de velours. Gravité placide du visage, précis dessin des traits minces et coupés avec décision, dignité des lèvres austères, des prunelles bien cerclées, — j’ai vu des physionomies de ce genre sur ces primitifs kakémonos japonais qui ressemblent à des Holbein. Une expression de haute aristocratie : les beaux yeux tranquilles sont perdus dans le vague. Un coude sur le genou, la main renversée, du bout de ses maigres doigts elle tient un cigare — le blanc cigare pour rire que fument les Birmanes et, de temps en temps, sans sortir de son rêve, elle aspire une bouffée…

Son valet, ses quatre filles de chambre sont à ses pieds, à genoux, avec le fin bagage-bibelot de boîtes et de coffrets rouges. L’une de ces suivantes, la plus jeune, semble la favorite, une exquise petite, et richement attifée : camisole vert pomme et gilet mauve qu’étreint à la ceinture une zone notre avec un large nœud bouffant par derrière comme celui des mousmés japonaises. Des boules de mimosa s’entremêlent à ses cheveux, pendent en franges délicates…

La vieille dame fume son blanc et volumineux cigare où si peu de tabac se mêle à tant de foin parfumé. Elle fume sans rien dire, avec des gestes lents, de haute dignité, les yeux perdus dans le vide, les lèvres aiguisées par le sourire qui en accuse l’admirable et vigoureux dessin. Et les servantes agenouillées fument à ses pieds, tantôt bavardes et tantôt muettes, mais respectueuses toujours, très attentives à l’étiquette qui leur défend de tourner vers leur maîtresse la plante de leurs pieds nus.

La plus jeune, la jolie, ne la quitte pas des yeux, empressée à la série des menus soins qui se suivent tout le long du jour. C’est très compliqué, vraiment, le service d’une noble dame birmane. Compter les bouffées qui sortent de son grand cigare, le lui prendre, quand une dizaine en ont été tirées, et le passer au serviteur chargé de le tenir ; — vite se pencher sur un des beaux coffrets laqués, en sortir trois étuis précieux qui s’y emboîtent exactement, à la chinoise, y puiser tour à tour avec une cuiller-bijou, une feuille de bétel, un peu de pâte blanche, une minuscule noix, faire du tout, prestement, un cornet vert que Madame enfonce dans le coin de sa bouche et commence à mâchonner ; — au bout de cinq minutes ouvrir un second coffret, en tirer flacons et coupe, préparer un rince-bouche parfumé ; — tout de suite après tendre une