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enfin tout ce que l’Hymne à la joie, entonné pour la première fois sur des notes moins graves, perdrait aussitôt de grandeur et de solennité.

D’autres exemples se trouveraient sans peine. Mais, si nombreux qu’ils fussent, ils ne sauraient compter que pour des exceptions ; ils ne feraient que confirmer cette règle, que, depuis l’antiquité, le niveau moyen et pour ainsi dire l’axe des sonorités s’est élevé notablement. C’est le plus souvent au-dessus de l’harmonie que la mélodie chante, et peu à peu « les voix intérieures » se sont tues. Dans le « quatuor, » et par conséquent dans l’orchestre, dont il forme le groupe élu, le principal rôle appartient aux violons et, de ceux-ci mêmes, la « première » corde n’est plus, comme autrefois celle de la lyre, la plus grave, mais la plus aiguë. Dans l’ordre ou la hiérarchie vocale, le même renversement s’est produit. On sait par quel procédé l’Italie haussa longtemps la voix de ses chanteurs jusqu’au registre et au timbre féminin. Même aujourd’hui, parmi les voix naturelles, les plus élevées gardent le secret de charmer et d’émouvoir davantage. Quelle basse ou seulement quel baryton d’opéra, Don Juan excepté, disputa jamais au ténor son privilège de jeunesse et d’amour ? Enfin la voix de la femme, et surtout la voix de soprano, la plus haute, la plus belle, est venue prendre au sommet de l’harmonie une place où l’antiquité ne l’avait point admise. En couronnant l’édifice sonore, il semble qu’elle l’ait encore exhaussé, et nous assistons à la revanche, dans la musique ainsi que dans la civilisation et les mœurs, de cet « éternel féminin » que la Grèce avait méconnu et sacrifié.

Voyez comme insensiblement, dès qu’on étudie le génie de la Grèce, on glisse ou plutôt on s’élève d’une question de métier aux principes de l’art et de la technique à l’idéal, continuons de faire ainsi. Parmi les sujets traités par Aristote, négligeons les plus arides : les consonances, l’octocorde et l’heptacorde, les particularités de l’exécution vocale aussi bien que l’hétérophonie de l’accompagnement. Les sciences pures sont belles ; mais l’esthétique est belle entre toutes les sciences, parce que, — son nom même l’indique, — elle connaît par le sentiment, parce qu’autant et peut-être plus que de l’esprit elle est un mode de l’âme.