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été le principe ou l’essence même. Alors toute la musique se rapportait, bien plus, se soumettait à la parole, et, sans la parole, c’est à peine s’il existait une musique. La voix même cessait-elle, en chantant, de parler, aussitôt elle perdait de sa dignité, de son influence, et sur elle une lyre, une flûte reprenait l’avantage.


Pourquoi, si la voix humaine possède un charme particulier, devient-elle moins agréable qu’un instrument à vent ou à cordes dès que le chant est dépourvu du texte (comme chez ceux qui fredonnent) ?
Serait-ce que, dès qu’elle cesse d’imiter à l’aide de la parole, la voix ne charme plus autant ?


C’est cela même, cela seul ; et plus d’un principe ou d’une loi se déduit de cette simple observation. Elle impose au musicien l’obligation de noter les paroles avec justesse, au chanteur le devoir de les prononcer avec netteté. par-là s’explique également telle ou telle vicissitude de l’histoire musicale : la disparition du style à « roulades » ou à « vocalises » et la caducité de certains opéras italiens, où les voix, — les plus belles pourtant qu’on ait, paraît-il, entendues, — chantaient sans cesse, pour ne jamais rien dire. Wagner alors parut. Subordonnant la musique au drame et les notes aux mots, il prétendit restituer au verbe son ancienne primauté. Mais la symphonie, par lui prodigieusement accrue à côté de la parole et soi-disant pour la servir, l’enveloppa jusqu’à l’étouffer. Un effet identique résulta de moyens contraires ; les choses, rétablies d’un côté, manquèrent de l’autre, et, pour des motifs opposés, la parole quelquefois ne fut pas mieux entendue.

L’orchestre, heureusement, sait désormais parler pour elle. Parole singulière que la sienne, étrange même, et, comme disait Carlyle, « inarticulée, insondable parole ! » Il parle cependant. Alexandre Dumas fils écrivait à Gounod : « Vous avez de la chance, vous autres musiciens ! Vous n’êtes pas forcés d’appeler les choses par leur nom ! » La musique, j’entends la musique pure, fait mieux que nommer les choses ; elle en exprime l’idée, l’essence, et ce mode d’expression, ou ce langage, s’il est moins précis que l’autre, est aussi plus étendu et plus profond.

Les Grecs le connurent à peine. Chez eux, la polyphonie instrumentale n’existait pour ainsi dire pas et l’accompagnement le plus simple leur paraissait le meilleur. Un des « Problèmes » d’Aristote se termine par cette remarque :