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LES IDÉES MUSICALES D’ARISTOTE.
sens de l’ouïe, imitent les états d’âme ἤθη (êthê), les affections πάθη (pathê) et les actions πράξεις (praxeis) à l’aide du rythme, de la parole et de la succession mélodique[1].


Ce texte est tiré de la Poétique. Ailleurs encore, dans la Politique, — et la mention, l’étude même de la musique en un traité de ce genre est significative, — Aristote insiste sur l’influence morale qui fait le caractère et l’honneur particulier de la musique :


Rien de pareil, écrit-il, ne se constate dans les perceptions que les autres sens sont capables de recevoir. Le toucher et le goût ne reproduisent en rien les impressions morales. Le sens de la vue les rend dans une mesure très restreinte. Les images qui font l’objet de ce sens finissent peu à peu par agir sur ceux qui les contemplent ; mais ce n’est pas là précisément une imitation des affections morales. Ce n’est que le signe revêtu de la forme de la couleur et s’arrêtant aux modifications toutes corporelles qui décèlent la passion. Dans les compositions musicales, au contraire, il y a reproduction des états d’âme[2].


À travers les âges, la doctrine d’Aristote a passé jusqu’à nous. In audibilibus manifeste inveniuntur similitudines morum, a dit saint Thomas d’Aquin. Et sur la même base l’esthétique musicale moderne, en Allemagne surtout, s’est fondée. On sait que, pour Herder, « la musique exprimait des états intérieurs, c’est-à-dire des modifications provoquées dans l’individu par les émotions ; que ces symboles étaient tout autre chose que les symboles, de la poésie et des autres arts ; qu’ils étaient pour l’oreille la chose même qu’ils représentaient[3]. » Enfin, selon Schopenhauer, disciple sur ce point d’Aristote, « la musique exprime l’essence intime des choses, das Ding in sich, le contenu réel des phénomènes, inaccessible à l’intellect. Les autres arts doivent se borner à traduire l’apparence des choses, le contour, la couleur, le geste[4]. » Si donc, exprimant sous une autre forme le fond permanent de ces doctrines successives, on peut assurer que la musique, art d’imitation comme tous les autres, est l’art d’une imitation à la fois plus directe, immédiate même, et plus intérieure ; si la métaphysique musicale se réduit ou du moins se rattache ainsi à un principe premier, c’est à celui que le philosophe antique a discerné et défini pour toujours.

Nous nous étonnions tout à l’heure qu’Aristote eût trop

  1. Cité par M. Gevaert.
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. M. Kufferath (Musiciens et philosophes) cité par M. Gevaert.