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LES IDÉES MUSICALES D’ARISTOTE.

rouvrent, aux vérités antiques ; ils les recueillent, ils les rétablissent, et, contre ceux que le regretté Lévêque appelait un jour « les athées de l’expression, » la plus récente critique semble rallumer une guerre que nous croyons sainte. En un récit original où la musique se mêle et se fond avec la vie, un de nos jeunes confrères écrivait récemment : « Depuis quelques années, n’a-t-on pas contracté l’habitude singulière de vanter la musicalité de certaines œuvres ? Cela veut dire, neuf fois sur dix, que la composition dont on parle ne possède ni inspiration, ni charme, ni puissance, mais qu’elle tend avec succès vers un certain postulat de beauté conventionnelle où rien de ce qui fait la véritable beauté, ni la profondeur des vues, ni la spontanéité de l’émotion, n’entrent en ligne de compte. Certes le souci de la forme est légitime, et sans l’éloquence de l’expression la pensée ne se fixe jamais tout entière ; mais la perfection drapée sur le vide constitue le plus monstrueux-des mensonges. On arrive à cette hypocrisie ridicule avec la théorie de l’art pour l’art. On prétend que les joies esthétiques diffèrent essentiellement de nos autres modalités affectives et le nom même de musicalité désigne une qualité substantifiée, pour faire croire à l’existence de quelque substratum là où il n’y a que l’ombre d’un contour, le spectre d’un vêtement, la manière d’être d’un rien. Qu’il existe certaines expressions picturales, littéraires ou musicales de nos idées ou de nos sentimens, c’est la raison d’être de la musique, des lettres et de la peinture. Mais qu’il y ait une picturalité, une littéralité, une musicalité en soi, voilà bien la plus forte mystification que jamais esprits nuls et infatués de leur néant aient prétendu nous imposer[1]. »

Ailleurs et plus récemment[2] le même écrivain rappelait et resserrait en quelques lignes, moins abstraites, la même pensée : « Tu as peut-être entendu parler de l’art pour l’art. Cette formule est absurde et sacrilège : l’art pour l’art, illusion, mensonge et vanité. L’art est de même essence que la vie ; il en doit être une émanation directe… les formes musicales ne sont que des signes et ceux-ci demeurent lettre morte s’ils n’expriment, par certains côtés, la vie universelle. »

Que la beauté musicale ne soit pas seulement spécifique,

  1. Dissonance, roman musical par M. Jean d’Udine. — Éditions du Courrier musical, 2, rue de Louvois, Paris, 1903.
  2. Courrier musical, juillet 1903.