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mais peu à peu le temps a effacé cette empreinte, et la loi a perdu celles de ses dispositions qui pouvaient être le plus justement critiquées. Les œuvres humaines sont rarement exemptes d’alliage : la loi de 1850 n’a pas échappé à cette fatalité. C’était une réaction peut-être inévitable contre les abus du monopole, mais une réaction qui devait être transitoire. L’Université, après avoir perdu son privilège, a retrouvé l’un après l’autre tous ses droits. Si donc on prend les choses dans l’état où elles sont aujourd’hui, l’abrogation de la loi Falloux ne signifie pas la disparition de l’enseignement congréganiste, mais celle de l’enseignement libre. Est-ce là ce qu’a voulu dire M. Combes ? Il s’en est mal expliqué dans son discours, et on va voir bientôt que sa conduite est aussi obscure que son langage. Chercherons-nous ailleurs ? Interrogerons-nous le parti qui mène et pousse le gouvernement ? Ce n’est pas encore là que nous trouverons la lumière. Le parti est divisé sur cette grave question du monopole ou de la liberté, et, entre les deux opinions divergentes que professent, par exemple, M. Clemenceau qui est pour la liberté, et MM. Béraud et Thézard qui, avec un groupe assez imposant du Sénat, sont pour le monopole, M. Combes n’a pas encore réussi à prendre parti : il se réserve. Conformément à la méthode politique dont il a exposé la théorie dans son discours de Clermont-Ferrand, il attendrie savoir où est la majorité pour se porter à sa tête ou pour la suivre, car il n’y met pas d’amour-propre.

Nous avons dit que M. Clemenceau était partisan de la liberté de l’enseignement. Il l’a toujours déclaré, c’est une justice à lui rendre, et il a même, dans le premier discours qu’il a fait entendre au Sénat, exposé les considérations d’ordre philosophique qui ont déterminé chez lui cette conviction sincère et profonde. S’étant émancipé de tous les dogmes et ne croyant positivement à rien, si ce n’est à la raison humaine, il veut maintenir celle-ci parfaitement libre, et ne trouve d’ailleurs dans la sienne propre aucun droit d’imposer à autrui les conclusions incertaines où elle l’a conduit. Ce qui plaît à son esprit peut ne pas plaire à tous : aussi ne se sent-il pas autorisé à l’enseigner de force aux enfans des autres, car il reconnaît comme absolument légitime la volonté du père de famille. Le père a une tendance naturelle à vouloir revivre — en mieux — dans ses enfans : l’État a le devoir de la respecter, surtout lorsqu’il s’appelle la République, car qu’est-ce que la République sinon la liberté ? Telle est la thèse de M. Clemenceau, et c’est aussi la nôtre. Seulement M. Clemenceau, libéral en matière d’enseignement, ne l’est plus du tout en matière de congrégation religieuse. Il a une horreur instinc-