Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disons que nos socialistes à nous sont, sur ce point particulier des visites royales ou impériales, plus avisés que leurs camarades italiens, si c’est là une vérité, elle est de date un peu récente. On a cité dans les journaux des articles que M. Jaurès a écrits autrefois, au moment où l’empereur de Russie nous rendait visite, qui ressemblaient beaucoup au dernier manifeste italien. Depuis, il a vu les choses autrement, il a écrit de nouveaux articles d’un style, ou plutôt d’un esprit tout différent, pour engager ses amis de Rome à renoncer à une intransigeance qu’il jugeait inopportune et malencontreuse. Il est regrettable que d’aussi bons conseils n’aient pas été mieux écoutés. Quant à lui, il n’a pas hésité, comme vice-président de la Chambre des députés, à assister aux fêtes franco-italiennes : en quoi il a donné une preuve de tact. Il est vrai que sa pensée s’est beaucoup précisée depuis quelques années, et, puisqu’il estime que les socialistes doivent prendre part au gouvernement, il doit admettre comme conséquence leur participation à tous les actes extérieurs de celui-ci. Or une visite impériale ou royale impose au gouvernement qui la reçoit, et aussi aux représentans officiels des deux Chambres qui l’assistent, des devoirs particuliers. M. Jaurès l’a compris. Mais les socialistes italiens peuvent dire qu’ils ne sont jamais entrés, eux, ni dans le gouvernement, ni même dans les bureaux des Chambres. Soit, ils ne l’ont pas fait encore ; nous ne serions pas très étonnés qu’ils le fissent un jour prochain ; en attendant, ils font partie de la majorité qui soutient le ministère, et cela crée déjà certaines obligations. Si, au bas de leur manifeste, il n’y avait pas eu des noms de parlementaires ministériels, le gouvernement se serait trouvé moins gêné. Nous sommes convaincus que M. Zanardelli a donné sa démission pour les motifs que nous avons dits et non pas pour d’autres ; ce n’est pas l’ajournement du voyage du tsar qui l’a déterminé ; mais la coïncidence des deux incidens a pu prêter à des commentaires, et on n’a pas manqué de les faire dans certains milieux européens.

L’ajournement du voyage ne s’expliquant pas suffisamment par les motifs qui en avaient été donnés, on en a cherché d’autres, et les imaginations se sont donné carrière. Comment n’aurait-on pas mis en cause le gouvernement italien, puisqu’on nous y a mis nous-mêmes ? On a bien dit que certaines influences qui tiennent à la triple alliance avaient agi sur l’empereur Nicolas pour l’empêcher de faire visite à un membre de la triple alliance dont on trouvait qu’il s’émancipait un peu trop. Avons-nous besoin d’assurer que nous n’en croyons rien ? L’empereur de Russie est très indépendant de la triple alliance,