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« Ainsi, il ne fit plus de difficulté de les prendre à toutes mains et en toutes les sortes ; il goûta donc le dixième en sus de tous les autres droits, impôts et affaires extraordinaires, et Desmarets n’eut plus qu’à exécuter. Ainsi, le mardi matin 30 septembre, Desmarets entra au Conseil des finances avec l’édit du dixième dans son sac.

« Il y avait déjà quelques jours que chacun savait la bombe en l’air et on frémissait avec ce reste d’espérance qui n’est fondé que sur le désir, et toute la cour, ainsi que Paris, attendait dans une morne tristesse ce qui allait en arriver. On s’en parlait à l’oreille, et, bien que ce projet près d’éclore fût déjà exprès rendu public, personne n’en osait parler tout haut, ceux du conseil des finances ce jour-là sans en savoir davantage que le public, ni même si l’affaire baiserait ou non le bureau de ce Conseil.

« Tout le monde assis, et Desmarets tirant un gros cahier de son sac, le roi prit la parole et dit que l’impossibilité d’avoir la paix et l’extrême difficulté de soutenir la guerre avaient fait travailler Desmarets à trouver des moyens extraordinaires qui lui paraissaient bons, qu’il lui en avait rendu compte et qu’il avait été du même avis, quoique bien fâché d’être réduit à ces secours ; qu’il ne doutait pas qu’ils ne fussent d’avis semblable après que Desmarets le leur aurait expliqué.

« Ainsi fut bâclée cette sanglante affaire, et immédiatement après signée, enregistrée parmi les sanglots suffoqués, et publiée parmi les plus douces, mais les plus pitoyables plaintes. La levée ni le produit n’en furent pas tels à beaucoup près qu’on se l’était figuré dans ce bureau d’anthropophages, et le roi ne paya non plus un seul denier à personne qu’il faisait auparavant. Ainsi tourna en fumée ce beau soulagement, cette sorte de petite abondance, cette circulation et ce mouvement d’argent, lénitif unique du beau discours de Desmarets.


« Ainsi tout homme, sans aucun excepter, se vit en proie aux exacteurs, réduit à supputer et à discuter avec eux son propre patrimoine, à recevoir leur attache et leur protection sous les peines les plus terribles, à montrer en public tous les secrets de sa famille, à produire lui-même au grand jour les turpitudes domestiques enveloppées jusqu’alors sous les replis des précautions les plus sages et les plus multipliées, la plupart à