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sans trop de façon chez mes chers amis les Professeurs. Vous seriez bien étonnée, n’est-ce pas ?

« Les excès de fatigue m’ont un peu rendu l’irritation de poitrine qui avait cessé, je vais tâcher de la faire de nouveau disparaître. Une grande irritation de caractère s’y était mêlée dans ces derniers temps : elle n’échappait pas à mes amis de Paris, pas même à moi. J’ai cru nécessaire ce voyage solitaire pour mieux réfléchir sur moi-même et mieux réfléchir en moi l’horizon attristé au moment du passage de la jeunesse à l’âge qui la suit. Rome et Naples ne sont là que des bordures : le vrai paysage est celui des années arides et dépouillées qui s’avancent et que j’ai vu surgir !

« Amitiés à nos amis, Ducloux, Esperandieu, Vinet, Vulliemin, Durand, Lèbre. Celui-ci est-il revenu ? Le long de mon chemin dans le midi de la France, je n’ai cessé de voir ses mûriers. J’embrasse les chers petits. Je salue respectueusement Mlle Sylvie, amitiés à M. Ruchet, à M. Urbain, à toute la famille. J’embrasse de cœur Olivier. Je pourrai recevoir encore une lettre de vous, après quoi ce sera moi. Adieu. »


Marseille, le 22 juin matin.

« Mes chers amis,

« Me voici revenu d’Italie hier soir. J’ai quitté. Rome dans la nuit du 18, après y avoir excédé de bien peu le temps que j’avais marqué. Je vous reviens bien fatigué, mais d’un autre genre de fatigue que celui dont je souffrais auparavant ; la poitrine m’a l’air d’être très bien autant que je la puis distinguer dans la fatigue générale. J’ai assez bien vu Rome et dans le sens où je la voulais voir : je comprends ce que c’est maintenant. On y devient aisément dévot, chacun à son saint, l’un à l’Apollon du Belvédère et au grec, l’autre à Raphaël, l’autre aux chapelets ; j’ai vu des dévots de toutes les sortes et qui chacun ne voyaient que leur objet. Rome et son séjour prolongé sont le plus grand prétexte à la paresse de l’âme et à un parti pris : on y penche tout d’un côté et rien ne vous y contrarie dans ce grand silence. Au fond, tout cela est mort ; Rome n’est qu’une grande ville de province, traversée d’étrangers. Ce qui y vit ou qui achève d’y mourir (et achèvera longtemps) a le petit pouls d’un vieillard : ce qu’était le ministère Fleury en France. C’est mon impression ; gardez-la pour vous, mes chers amis ; n’en dites surtout rien à