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comme je ne fais jamais d’examen de conscience, je ne sais plus le lendemain ce que j’ai fait la veille. Au hasard, au hasard ! C’est là mon seul mot d’ordre qui rime avec l’art, sans trop s’inquiéter de la raison. Je fais Porl-Royal : un volume, d’ici à trois semaines ou un mois, sera imprimé ; mais cela m’avance peu, puisqu’il y en a quatre énormes de plus de cinq cents pages. Quand j’en aurai deux de prêts, je les lâcherai peut-être. Ce qui ruine tout bonheur, c’est la vie matérielle non arrangée, et la nécessité de penser en ce sens ou en l’autre selon les nécessités de la bourbe. Des quartiers de mois s’en vont ainsi dans des trains de travaux ennuyeux, irritans, futiles ; et, comme je n’ai pas l’ancre au dedans, le coin du feu, la famille, et que j’en suis incapable, je me fais pirate de plus en plus. Tout cela vient de ce qu’on n’a pas d’argent et uniquement de cela : c’est bête, mais les choses du monde sont ainsi. Un grain de sable ici ou là, dit Pascal, interrompt une pensée, ruine une ambition et change le monde. Voilà une fois pour toutes ma triste histoire intérieure. Sans argent, pas de loisir ; sans loisir, pas d’amour :


Otia si tollas, periere cupidinis arcus


(demandez à Olivier, Madame) ; pas de poésie même, trop peu d’amitié aussi, du moins dans la culture et les témoignages. On est sec, ou on le paraît, parce qu’on est pressé. Mais il fallait commencer, me direz-vous, par borner ses besoins et par modérer ses désirs. Oui, mais quand on ne l’a pas fait ; et que les besoins sont acquis, que les désirs sont de grands garçons, et même déjà de vieux garçons ?

« En attendant, je vous aime toujours et beaucoup. Je vous félicite, chère Madame, de vos succès d’éditeur et de critique. Le petit livre de Mme Lenormant a paru ; à part quelques vers de Desmarets, Arnauld d’Andilly, etc., vous connaissez probablement tout ce qui s’y trouve. Je vous lirai, quoi que vous en disiez. J’ai reçu de M. Monnard une belle biographie de Jean de Muller : remerciez-le bien en attendant que la Revue le fasse. N’avez-vous pas toujours la biographie de M. Manuel par lui et pour moi ? En ce cas, un jour, par Risler, glissez-la-moi. Quelle occasion trouver donc pour renvoyer le Davel ?

« Il faut, en cette fin d’année, que vous fassiez bien nommément mes amitiés à ceux qui là-bas se souviennent le plus de