Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’elles soient restées dans cet enfer, malgré ces dangers, quand s’enfuyait tout ce qui pouvait s’enfuir et lorsque nul ne pouvait se flatter d’y échapper, même en se cachant, on ne saurait se l’expliquer que par l’attachement passionné qu’avait voué Adèle à Hérault de Séchelles. Arrivée avec lui et ayant, par amour pour lui, foulé aux pieds tous les devoirs, elle ne voulait plus s’en séparer, comptant sans doute qu’il les protégerait, elle et sa sœur, en cas de péril. Ce qu’elle faisait pour son amant, on aime à croire qu’Aurore le fit pour elle et non pour Philibert Simond, bien que, cependant, de plus en plus lié avec son collègue depuis qu’il connaissait les dames de Bellegarde, il continuât à vivre, lui aussi, dans leur intimité.

Elles restèrent donc à Paris, non, comme on pourrait le croire, en femmes timides, alarmées, pénétrées d’horreur devant tant de tragiques spectacles qui alimentaient la vie publique, mais en curieuses, jalouses de n’en rien perdre et d’en fixer le souvenir dans leur mémoire. Cette curiosité que rien ne lassait est le trait indélébile de leur physionomie ; elle justifie le jugement que la duchesse de Fleury, leur contemporaine et leur amie, a porté sur elles dans un passage de ses Mémoires, que nous avons déjà cité. Elles n’ont éprouvé de haine « ni contre le sang, ni contre les persécuteurs, » et leur indifférence explique dans une certaine mesure leur témérité. Elles vécurent dans la fournaise parisienne, en une sorte de quiétude qu’encourageait leur protecteur, fréquentant ses amis, assistant aux séances de la Convention, aux audiences du tribunal révolutionnaire le jour où la reine y comparut, montrant partout « leur jolie figure, et leur jeunesse, » et cette insouciance dont se sont étonnés tous ceux qui les ont connues. Il en fut ainsi jusqu’au jour où la foudre qui menaçait Hérault de Séchelles et dont, à son retour du Haut-Rhin, il avait détourné les coups, subitement éclata, dans des circonstances sur lesquelles ont peut-être trop légèrement passé les historiens.

Quinze mois auparavant, durant son séjour en Savoie, s’était fait présenter à lui un jeune commissaire des guerres à l’armée des Alpes, que les pièces de police désignent simplement sous le nom de Catus et qui s’appelait en réalité Charles-Ignace Pons de Boutier de Catus. Originaire de Belfort, entré comme noble, en 1782, à l’École militaire, il avait été promu ensuite au grade de lieutenant dans le régiment d’Aunis. Envoyé en cette qualité