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qui permettait aux étrangers propriétaires en France de rentrer en possession de ceux de leurs biens qui n’auraient pas été aliénés.

Ces nouvelles étaient de nature à inquiéter la comtesse de Bellegarde, surtout lorsqu’elle apprit, au mois de juin, qu’il était fait droit à la requête. Mais, à cette heure, elle était toute à Garât, et on a vu que deux enfans, dont le second, né depuis quelques jours, avait été reconnu par ses parens, attestaient sa liaison. Elle ne pouvait donc croire que son ancien mari chercherait à la reprendre. C’est là cependant ce dont elle était menacée. Elle tomba de son haut en apprenant qu’il prétendait faire annuler le divorce prononcé en 1793 et obliger sa femme à le suivre, non qu’il y fût poussé par l’amour, mais parce qu’il voulait, dans l’intérêt de ses enfans, ressaisir les biens qu’elle lui avait apportés en dot.

Cette prétention revêtit d’abord des formes amiables. Mais, lorsque Mme de Bellegarde eut énergiquement déclaré qu’elle y résisterait, son adversaire recourut aux tribunaux. Il allégua devant les juges la nécessité de sauvegarder le patrimoine de sa fille et de son fils, que la mère dilapidait, à preuve le gaspillage du prix de l’hôtel de Chambéry, qu’elle avait vendu sans le consentement du père. Une longue et fastidieuse procédure s’ensuivit. Toutes les juridictions furent épuisées, celle même du Conseil d’Etat. Toutefois, le divorce ne fut pas annulé. Alors les plaideurs reconnurent qu’un arrangement pouvait seul mettre fin au conflit. Le comte de Bellegarde vint à Paris, au commencement de 1805, pour discuter les conditions d’une entente.

Les époux se rencontrèrent chez un notaire, après une séparation qui durait depuis douze ans. Il avait été stipulé à l’avance qu’il n’y aurait de leur part ni récriminations, ni reproches, et que le mari prenait, pour le présent comme pour l’avenir, l’engagement de ne pas demander de nouveau l’annulation du divorce. Tout se passa donc courtoisement. A la suite de plusieurs conférences, une convention fut signée, le 3 avril, qui réglait définitivement les questions en suspens. Des décisions prises, une seule est à retenir, c’est qu’en reconnaissant à ses enfans légitimes la propriété du château des Marches, la comtesse de Bellegarde s’en réservait la jouissance jusqu’à sa mort. Le général quitta Paris aussitôt pour retourner en Autriche où se préparait la troisième coalition contre la France. Ils ne devaient plus se revoir.