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de Séchelles, où fut élevé l’héroïque colonel tué à Minden ; le château de Montjouffroy, où son fils passa les premières années de son enfance ; le château d’Epone, où, jusque sous la Terreur, le fougueux terroriste recevait ses amis, et le château de Chenoise à l’ombre duquel les dames de Bellegarde reposent pour l’éternité. A Livry, la maison du maréchal de Contades a disparu. Mais, de l’autre côté de la route qu’elle bordait, on voit encore la maison de Mmes Hérault de Séchelles. Un cèdre majestueux en ombrage l’accès’. Les arbres de son parc mêlent leurs feuillages à ceux de l’abbaye qu’ont immortalisée les lettres de Mme de Sévigné.

J’ai parcouru la plupart de ces lieux, cherchant à faire revivre les personnages qui les animèrent de leur présence. Avide de tout savoir, ma curiosité d’historien interrogeait les murailles chargées de mousse jaunie, et les sentiers tracés sous les bois, et le vieux cèdre sous lequel le futur conventionnel s’est souvent assis, un volume de Jean-Jacques à la main. Mais ces témoins sont restés muets, qui virent tant d’épisodes que mes efforts n’ont pu tirer de leur obscurité ; ils ne me les ont pas révélés. Ainsi, les dames de Bellegarde, après comme avant ma tentative de reconstitution, demeurent encore en marge de l’Histoire, dans le mystère de leur physionomie à demi effacée ; telles ces figures des fresques antiques, dont il ne reste sur les ruines que des contours imprécis et suggestifs, mais irritans aussi par l’impassibilité avec laquelle ils nous dérobent ce que nous aurions le plus à cœur de connaître.


ERNEST DAUDET.