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Il y a plus, et, faute d’une certaine décision et d’une prise assez vigoureuse de leur sujet les auteurs de l’Adversaire ne se sont pas aperçus qu’ils faisaient le contraire de ce qu’ils voulaient faire. Car sûrement ils ont voulu donner raison à Darlay et ils sont d’avis qu’en se montrant impitoyable pour Marianne il agit dans la plénitude de son droit. Rien n’est plus contestable, ce mari étant fort loin d’avoir accompli tout son devoir. En effet, il a vécu des années auprès de sa femme, sans prendre la peine d’entrer en pleine communion d’esprit avec elle ni s’inquiéter de ce qui se passait en elle. Il est complètement heureux ; aussi l’idée ne lui vient-elle pas que sa femme puisse se trouver moins heureuse que lui. Il nous fait songer à cet autre personnage de comédie qu’on détournait de se marier en lui citant un cas analogue où la femme avait été très malheureuse. « Et lui ? — Oh ! lui, il a été très heureux. — Eh bien ! alors ?… » Il se révèle soudain énergique, après avoir été pendant longtemps assez accommodant : c’est un faible qui a des accès de violence. Il a horreur d’un certain monde et il y mène ou il y laisse aller sa femme : il se venge par des railleries ou par des bouderies : ce qui n’est guère une attitude virile. Après que sa femme l’a loyalement averti des sentimens de Langlade, il ne fait rien pour écarter d’elle cet amant possible. Le meilleur moyen qu’un mari ait de s’attacher sa femme, c’est encore de se confier à elle entièrement et de lui ouvrir tout son cœur ; lui, au contraire, a jugé spirituel d’envelopper ses sentimens d’un voile d’ironie, et de dissimuler ce qu’il y avait de meilleur dans sa nature et de plus profond dans son amour. Pas plus qu’il ne connaît sa femme, il n’a cru nécessaire de s’en faire connaître. Il vit près d’elle presque ignoré d’elle. Il ne s’est pas douté qu’il eût à remplir à son égard un rôle de direction, et à lui prêter un appui de tous les instans. D’où vient donc ce courroux qui, à l’heure de l’épreuve, le rend implacable ? Tout uniment de la blessure de son amour-propre. Ce personnage sympathique est, en somme, un égoïste assez déplaisant. « Je l’ai prise. Je n’ai pas su te garder. Je te renvoie. » Tel est à peu près le langage qu’il tient à sa femme : il y a mieux à dire. Finalement, s’il n’hésite pas à briser les liens du mariage, la raison en est qu’il s’était fait du mariage lui-même une conception assez médiocre. Au surplus, je ne tire de ces remarques aucune conclusion de morale, la question de moralité n’ayant guère lieu d’être posée ici.

Cette comédie, qui ne contient ni une situation originale, ni aucune espèce d’analyse de sentimens et d’étude de caractères, est-elle du moins d’une coupe un peu neuve ? Elle se conforme au