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lecteurs si nous leur disions qu’on l’a fait ; mais les thèses contraires ont été soutenues parfois avec talent et toujours avec franchise. M. Charles Dupuy, M. Vidal de Saint-Urbain, M. Gourju, M. Ponthier de Chamaillard, M. De Marcère, M. le comte de Blois, ont défendu la liberté ; M. Lintilhac, M. Maxime Lecomte, M. Héraud, M. Thézard ont soutenu le monopole. On attendait M. le ministre de l’Instruction publique : que dirait-il ? Il a défendu son projet avec chaleur, avec fermeté, avec courage, sur le ton d’un homme décidé à le faire aboutir ou à s’en aller lui-même. Il n’y a eu dans ses paroles aucune complaisance pour l’extrême gauche, ni aucune défaillance. M. Chaumié ne s’est même pas laissé émouvoir par cette parole d’intimidation, si banale, mais habituellement si efficace : « Vous verrez au scrutin avec qui vous serez ! » Il a répondu avec une certaine crânerie qu’il ne croyait pas devoir abandonner son opinion parce qu’il aurait été assez heureux pour la faire partager à ses adversaires. C’est effectivement un bien pauvre moyen de discerner la vérité que de regarder à droite ou à gauche par qui elle est professée, et d’en attribuer le monopole à un parti dont on proclamerait par-là l’infaillibilité : un aussi grossier empirisme ne peut se voir qu’en politique. La discussion générale du projet de loi a donc été honorable, et chacun, même le gouvernement, y a eu l’attitude qu’il devait y avoir. Mais au moment où elle allait se clore, M. Alfred Girard est monté à la tribune, et a lu au Sénat un amendement qu’il se proposait d’apporter à un des articles du projet ministériel. Nouvelle surprise, et peut-être n’est-ce pas la dernière que nous aurons.

L’amendement est très grave. M. Girard propose que, non seulement les congréganistes, mais encore toutes les personnes qui auront fait vœu d’obéissance ou de célibat, soient privés du droit d’enseigner. Pour les congréganistes, c’est déjà fait : on a formellement prononcé contre eux des mises hors la loi spéciales, même après avoir dissous les congrégations, même après avoir assuré la dispersion de leurs membres. Il n’y a plus de congrégations d’hommes enseignantes en France, à l’exception de celles qui sont autorisées, et on sait combien elles sont en petit nombre ; il semble donc qu’il devrait ne plus y avoir de congréganistes. Mais les radicaux ont peur des ombres et des revenans ; ils craignent qu’après avoir été bien et dûment sécularisés, les congréganistes de la veille ne prétendent profiter du droit commun où ils sont rentrés. Pour obvier à ce danger, ils ont songé à divers systèmes dont nous n’avons pas à parler aujourd’hui ; celui de M. Girard est le seul qui nous occupe, et, certes, nous n’en