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laïque parce que j’y vois une tyrannie ; d’autres, la repoussent parce que ce n’est pas leur tyrannie... Lorsque nous examinerons la question des garanties de la liberté, je me trouverai en désaccord absolu avec eux et j’aurai la joie de me retrouver avec mes amis. » En attendant, tourné vers ses amis, avec lesquels il ne se trouvait pas, il leur donnait cette leçon : « Dans la République, la liberté, c’est le droit commun de chacun ; et l’autorité ne peut être que la garantie de la liberté de chacun. » Puis M. Clemenceau peignait en une suite d’images saisissantes, à faire frémir ces amis vers lesquels, contre lesquels il était provisoirement tourné, la tyrannie de l’État-roi, de l’État-pape, de l’État-Dieu, de ce Moloch gorgé de victimes et dégouttant de sang humain.

L’extrême gauche atterrée regardait la vision, écoutait passer ce vol de fantômes, avec des visages révulsés. elle ne reconnaissait plus son chef. Où allait-il ? Mais il allait toujours et il entraînait derrière lui, haletans, ses amis pris aux cheveux : « J’entends bien : vous rêvez l’État idéal. Ainsi Platon, ainsi Aristote, ainsi Thomas Morus, ainsi d’autres rêveurs. Vous rêvez l’État idéal ! Et vous cherchez un dogme ! L’Église possède son dogme ; elle sait très bien pourquoi il lui faut le monopole de l’enseignement. Elle a son dogme à elle, il est écrit, il lui est venu du ciel ; elle veut le propager parmi nous, l’imposer aux hommes récalcitrans. Mais vous, où est votre dogme ? Vous ne pouvez pas me répondre, parce que vous n’en avez pas, parce que vous ne pouvez pas en avoir. Enfin, dans cet enseignement, il faudra bien que le professeur en chaire dise quelque chose. Il faudra bien qu’il prenne parti. Il faudra bien qu’il dise s’il approuve ou s’il blâme. Quand il arrivera à l’histoire de Tibère et quand il lui faudra raconter certain drame de Judée, quelle opinion aura-t-il ? Que dira-t-il ? Est-ce que Jésus-Christ sera Dieu ou homme seulement ? Et quand on viendra à ce grand phénomène du christianisme, qui encombre l’histoire, qui a été et est encore aujourd’hui au premier plan des pensées et des actes de la civilisation, comment le qualifiera-t-il ? Quelle opinion en donnera-t-il à ses élèves ? »

De sa voix tranchante, impérative, M. Clemenceau appuie : « Un dogme d’État ! Il vous en faudra un ; mais je vous défie de vous en faire un ! Et, de même que ce dogme qu’il faudrait à l’État, l’État ne saurait se le faire, de même, si encore, par impossible, il se le faisait, il ne saurait pas l’imposer : « Ah ! avant la Révolution française, la partie était belle pour les dominateurs ; on avait la seule puissance qu’il y eût dans le monde ; mais cette puissance, nos pères l’ont prise,