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toujours imposé sa volonté à l’autre. Les prétentions de la Hongrie ont maintes fois irrité, mais Jamais lassé la longanimité de l’Autriche. Il ne faudrait pourtant pas croire que cette longanimité fût absolument inépuisable.

La dernière crise n’a qu’un sens, à savoir que la Hongrie aspire à sa complète indépendance. Non pas qu’elle veuille arracher la couronne de Saint-Étienne du front de l’empereur d’Autriche ; elle s’accommode au contraire fort bien, au moins pour le moment, d’avoir comme roi à Pesth le même souverain qui est empereur à Vienne ; mais à la condition d’être liée à lui par une union purement personnelle. Ce n’est pas là le dualisme actuel. Le dualisme attribue sans doute à la Hongrie une très grande somme d’autonomie, ou même une autonomie absolue dans toutes les affaires qui lui sont exclusivement propres ; mais il reconnaît aussi l’existence d’affaires et d’intérêts communs aux deux parties de la monarchie. L’empereur et roi François-Joseph en est le représentant. Chef de l’armée notamment, il tient avant tout à l’homogénéité de la force militaire dont il dispose, car ce n’est pas du tout la même chose d’avoir une armée austro-hongroise unique, ou deux armées dont l’une serait hongroise et l’autre autrichienne. Une vérité aussi évidente par elle-même est de nature à frapper tous les esprits. C’est pourtant de ce point particulièrement sensible que la Hongrie a fait surgir sa revendication. Le parti de l’indépendance, appuyé par le parti libéral, a affiché l’ambition de créer une armée exclusivement hongroise, et il a demandé, comme emblème de cette situation nouvelle, que le commandement y fût exercé en langue magyare. Il y avait à cela, en dehors même des objections de principe tirées du dualisme, des difficultés pratiques, ou même des impossibilités dont il fallait bien tenir compte. Il n’existe pas actuellement un corps d’officiers hongrois capable de fournir à l’armée des cadres supérieurs complets. Mais l’opinion, émue, excitée, enfiévrée, n’a voulu rien entendre : il lui fallait des satisfactions immédiates, faute de quoi l’obstruction continuerait d’être appliquée dans le Parlement et la machine politique cesserait de fonctionner.

Au milieu de cette tourmente politique, l’empereur François-Joseph a fait preuve d’une présence d’esprit et d’une force de volonté vraiment rares chez un homme de son âge. On a beau dire le contraire à Pesth, n n’a pas cédé d’une ligne sur ce qi^’il regarde comme son droit constitutionnel, et il a finalement usé les résistances à force de sang-froid, de persévérance, ou, si l’on veut,