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général Lallemand qu’ils se rendraient au point du jour à bord du Bellérophon. Dans une heure de recueillement suprême, Napoléon s’était dominé ; il avait maîtrisé ses dernières résistances et accepté le destin. Tandis que l’on s’agitait autour de lui pour son départ furtif, il avait écrit le brouillon de sa lettre au prince régent d’Angleterre.


V

Dans sa nouvelle entrevue avec le capitaine Maitland, le 14 juillet, Las Cases commença par demander s’il était arrivé une réponse de l’amiral Hotham à la lettre du Grand-Maréchal concernant les sauf-conduits. Maitland dit qu’il n’avait pas encore reçu cette réponse, « mais qu’il ne doutait pas qu’elle ne lui parvînt bientôt et qu’il l’attendait d’heure en heure. » Or, Maitland n’attendait pas cette réponse, ou du moins il savait d’avance qu’elle serait négative ; depuis six grands jours, il était instruit, par une dépêche de Hotham, que le gouvernement anglais avait refusé les sauf-conduits et que lui, Maitland, devait « employer tous les moyens » pour s’emparer de Napoléon. Un peu abusé par les paroles de Maitland, prononcées sur un ton encourageant, Las Cases se découvrit. Il dit que l’Empereur, dans son désir de prévenir toute nouvelle effusion de sang, était déterminé à se rendre en Amérique de la façon qui conviendrait le mieux au gouvernement britannique, soit sur la Saale, soit sur un bâtiment de commerce, soit même sur un vaisseau anglais. Maitland se hâta d’entendre à l’ouverture : « Je ne suis autorisé, dit-il, à acquiescer à aucun arrangement, mais je crois pouvoir prendre sur moi de recevoir l’Empereur à mon bord pour le conduire en Angleterre. Toutefois, je ne puis faire aucune promesse sur les dispositions de mon gouvernement à son égard, puisque, dans le cas que je viens de supposer, j’agirai sous ma propre responsabilité, sans être même certain que ma conduite obtienne l’approbation du gouvernement anglais. » Très désireux d’obtenir non un engagement formel, que le commandant du Bellérophon, cela était manifeste, n’avait pas le pouvoir de donner, mais une assurance favorable, une promesse morale, Las Cases et Lallemand poussèrent Maitland. L’Anglais brûlait d’attirer Napoléon à son bord : dans ses rêves de marin, il n’avait jamais imaginé si éclatante capture ! Tout en protestant de