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à la conception, religieuse par certains côtés, d’un avenir rationnel dont l’humanité révolutionnaire serait l’ouvrière ; avec toute la richesse de son érudition, il s’orientait vers le berceau du monde, prenait, là-bas, contact avec le « divin, » et commençait d’accepter le sacerdoce comme l’organe authentique des révélations de l’au-delà. L’histoire des religions, qui obscurcit chez beaucoup de nos contemporains l’idée d’Eglise, acclimatait au contraire cette idée dans l’intelligence de Guerres ; et tandis qu’un voltairianisme brutal, radicalement ignorant de l’histoire, n’apercevait aux origines de la prêtrise qu’un artifice de la fourberie humaine pour exploiter la crédulité des peuples, Goerres, quelque incroyant qu’il fût encore, apportait dans ses recherches ce sens du mystère qui parfois est la condition de la science, et rendait son âme contemporaine de celles des croyans antiques, pour s’initier longuement, gravement, aux augustes arcanes derrière lesquels ces âmes s’abritaient.


VI

C’étaient certes de beaux voyages que ceux qu’entreprenait, au-delà de l’histoire et presque au-delà de ce monde, l’imagination religieuse de Joseph Goerres ; mais la politique les allait interrompre, impérieuse à jamais pour ceux qui l’ont un instant courtisée, inlassable à les relancer, experte à les confisquer. La politique fit redescendre Goerres du ciel sur la terre, du passé dans le présent. Or sur la terre, dans le présent, il retrouvait un sacerdoce insigne, qui se présentait au monde comme incarnant et satisfaisant les aspirations religieuses : c’était le sacerdoce papal. Et Goerres, engageant dans la presse un duel avec Napoléon, allait bientôt prosterner aux pieds du pape captif, mais moralement libre par son vouloir d’être libre, l’admiration d’un citoyen froissé, d’un patriote lésé.

Il s’était plaint, déjà, dans son opuscule sur la Chute de l’Allemagne, que l’opinion publique, partout sauf en Angleterre, fût devenue muette et comme proscrite. Les journaux de son pays l’écœuraient[1] : il tenait à montrer ce que veut, ce que peut, ce que doit une presso digne de ce nom. Dans cette vallée du Rhin où les armées napoléoniennes jouèrent leur avant-dernière

  1. Sur l’attitude de l’ « intelligence » allemande à l’égard de Napoléon, voyez l’article de M. Cavaignac dans la Revue du 15 mars 1904.