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Tout dans sa pensée, tout dans sa croyance, se ramène à la lutte contre l’absolu ; et lutter contre l’absolu, c’est lutter pour Dieu, puisque l’histoire est un conflit entre l’idolâtrie politique et le règne de Dieu.

Aussi Schlegel ne permettra-t-il pas à l’absolu de se draper de la majesté de Dieu : « le plus grand danger de l’époque, déclare-t-il, réside dans les écarts de l’absolutisme, qui pourrait abuser des principes religieux. » Le mot vise la Sainte-Alliance, apparemment. Même au service de Dieu, l’absolutisme était abhorré par Schlegel : « Il faut bien se garder, disait-il encore, d’attacher à l’autorité divine des souverains de la terre l’idée de l’absolu ; idée si dangereuse en elle-même, et si féconde en erreurs déplorables, qu’il n’est même pas possible de l’attribuer à Dieu, sans donner naissance à de graves malentendus. » Et de fait ; un malentendu très grave eût risqué d’opprimer la réputation de l’Eglise, si l’opinion eût pu la rendre responsable des actes et des gestes de la Sainte-Alliance : la théologie politique de Schlegel, professée à Vienne même, survenait à point pour écarter le malentendu.


XI

On savait d’ailleurs, dans les sphères officielles, que Schlegel n’était point une exception ; un publiciste alors fort connu, et qui fut un jour présenté à Mme de Staël comme « la première tête de l’Allemagne, » Adam Müller, croyait de son devoir de penseur de confronter sans cesse avec la pratique de la Sainte-Alliance un idéal politique qui lui semblait révélé par Dieu lui-même. Prussien d’origine, converti de bonne heure au catholicisme, il était une sorte de Bonald allemand, mais un Bonald chez qui le travail de la logique se perdait volontiers eu fusées d’imagination ; un Bonald emporté, sur les ailes du romantisme, dans un ciel où la philosophie germanique avait laissé des traînées de nuages. L’Autriche, au service de laquelle il était passé, finit par le décorer, en 1826, pour avoir consacré son talent à la « défense du principe monarchique et de la religion ; » cet éloge officiel ferait (mal augurer de l’originalité de Müller, si nous ne feuilletions, tout de suite, la correspondance privée qui s’échangea, de longues années durant, entre Müller et Gentz, et qui nous montre la libre attitude du penseur catholique en face de celui