Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quel en a été jusqu’ici le résultat ? Il faut bien croire qu’il a été assez, nul puisqu’on s’est mis tout d’un coup à parler d’un autre système qui consisterait, de la part d’une ou de plusieurs puissances choisies parmi les plus désintéressées dans les affaires d’Orient, à intervenir entre les autres et à leur soumettre des propositions. Tout cela est encore assez vague, au moins dans les journaux, et nous ne savons pas exactement quelle importance il convient d’attribuer à ces suggestions.

Dans ce nouvel ordre d’idées, il a été naturellement beaucoup question de la France. Parmi les puissances qu’on dit désintéressées, elle occupe le premier rang : aussi semble-t-il que, de différens côtés, on l’ait poussée à prendre une initiative qu’on se déclarait disposé à suivre. La Presse allemande s’est faite volontiers l’interprète de cette suggestion, qui ne lui est peut-être pas tout à fait personnelle. Mais il faudrait savoir d’abord ce qu’on entend par puissance désintéressée. Si on qualifie ainsi une puissance qui se désintéresse de ce qui peut se passer en Orient, ce n’est pas le cas de la France, et, sans doute même, ce n’est celui d’aucune autre puissance. La politique française a été plus active en Orient autrefois que dans ces derniers temps, et nous regrettons pour notre compte qu’elle se soit laissé détourner de ce champ d’action où elle a joué jadis un rôle si considérable, pour s’adonner trop exclusivement à des entreprises nouvelles et aléatoires. Toutefois, malgré les diversions auxquelles elle s’est abandonnée, la France ne laisserait pas dire sans protester qu’elle n’a pas d’intérêts en Orient. Si, par puissance désintéressée, on entend une puissance qui n’a l’intention de rien prendre pour elle parmi les dépouilles éventuelles de l’Empire ottoman, cette appellation s’applique sans doute très exactement à la France ; mais elle s’applique aussi à plusieurs autres puissances, par exemple à l’Angleterre et à l’Allemagne. L’Angleterre et l’Allemagne ne laisseraient pas dire plus que nous qu’elles n’ont pas d’intérêts en Orient, mais elles protesteraient énergiquement et très sincèrement si on leur attribuait des arrière-pensées d’appropriation territoriale : nous en sommes sûrs pour l’Angleterre, et nous le croyons pour l’Allemagne. Bien plus, la Russie elle-même, bien qu’elle ait eu un moment la velléité, non pas de prendre pour elle un pouce de territoire ottoman, mais de profiter des circonstances pour se faire attribuer quelque avantage, la Russie comme nous, comme l’Angleterre, comme l’Allemagne, est une puissance désintéressée. Pourquoi donc serait-ce seulement à nous, ou même à nous, avec une ou deux autres puissances, que reviendrait