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768 pages, plein d’intérêt pour ceux qui se préoccupent des conditions de la vie populaire et que les brillans dehors de notre civilisation, la fête perpétuelle au sein de laquelle nous semblons vivre ne parviennent pas à distraire complètement des nombreuses misères qui se cachent sous ce voile doré.

L’industrie de la lingerie n’étant pas la seule où un certain nombre d’ouvrières travaillent à domicile, pourquoi l’Office du travail a-t-il choisi cette industrie pour en faire l’objet de son enquête ? C’est que l’industrie de la lingerie est celle où se pratiquent les salaires les plus bas, et la raison n’en est pas très difficile à trouver.


Toute Française, à ce que j’imagine,
Sait, bien ou mal, faire un peu de cuisine,


a dit Voltaire, dans la Guerre de Genève. On pourrait dire également : toute Française sait, bien ou mal, faire un peu de couture. Il n’y en a guère qui n’ait appris dans sa jeunesse à manier l’aiguille, et comme la lingerie, en particulier, est de toutes les industries celle où la demande est la plus constante et le travail le plus régulier, c’est aux travaux de lingerie qu’on forme de bonne heure les jeunes filles dans les nombreux pensionnats, orphelinats, ouvroirs, tant religieux que laïques, qui couvrent la France. « Il y a un réservoir inépuisable de main-d’œuvre dans la lingerie, » a dit un gros entrepreneur, au cours de l’enquête. Ce réservoir où les patrons puisent à leur gré n’est pas alimenté exclusivement par des ouvrières. « Il y a, dit le chef d’une grande maison de lingerie, telle ville du Centre où les femmes de fonctionnaires et de commerçans font du feston payé de 60 à 70 centimes le mètre ; elles vont chercher ce travail en cachette, en se promenant, et le font chez elle parce que cela ressemble à un ouvrage d’agrément. » Le grand nombre d’ouvrières lingères fait « qu’elles se mangent entre, elles, » suivant l’expression énergique dont s’est servie une des déposantes. Il n’est pas rare de voir une ouvrière accepter une commande que telle de ses camarades aura rejetée comme trop peu rémunérée, parce qu’elle est pressée par le besoin, ou, au contraire, parce qu’elle a d’autre part des ressources qui lui permettent de travailler à bas prix. Or, dans toutes les industries où l’offre du travail est abondante, le salaire baisse. La loi de l’offre et de la demande, — si tant est qu’en dehors du domaine vraiment