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améliorera la condition souvent assez dure des femmes de nos petits cultivateurs qui, pour être des paysannes, ne sont pas moins intéressantes que des ouvrières, et d’autre part, la création d’ateliers ruraux, dans des conditions généralement plus hygiéniques que ceux des grandes villes, retiendra les jeunes filles à la campagne et ralentira cet exode vers les villes qui, à plusieurs points de vue, leur est souvent funeste. Malheureusement l’envoi de l’ouvrage à faire en province n’a pas seulement pour conséquence de diminuer le travail à domicile ; il en fait aussi baisser, dans une certaine mesure, le prix, par une conséquence difficilement évitable de l’augmentation de l’offre, de telle sorte que ce déplacement du travail qui, en soi-même, constitue un progrès, est aussi cause de souffrances. Quand on prononce ce mot de progrès, il ne faut pas oublier à quel prix le progrès est souvent acheté, ni combien sur sa route il écrase de victimes.

Feuilletons maintenant ce gros volume de l’enquête, et cherchons à résumer ce qui s’en dégage. Pour qui l’étudie sans parti pris, cette enquête porte un coup assez sensible à deux légendes qui n’en subsisteront pas moins, car les légendes ont la vie dure, mais qui en demeureront cependant ébranlées : la légende des entrepreneuses et celle des couvens.

C’est une opinion très répandue que la misère des travailleuses à domicile, en particulier dans l’industrie de la lingerie, tient à la rapacité des entrepreneuses qui réaliseraient des profits exorbitans par la différence entre le prix que leur payent les grands magasins et celui qu’elles payent elles-mêmes aux ouvrières entre lesquelles elles répartissent leurs commandes. Dans une exposition des produits du travail à domicile qui a été installée cette année, pendant quelques semaines, dans une rue très fréquentée, s’étalait un grand dessin au fusain divisé en deux compartimens. Dans l’un on voyait une ouvrière, pâle et maigre, penchée, l’aiguille à la main, sur son travail, et dans l’autre une entrepreneuse joufflue, rebondie, coiffée d’un magnifique chapeau. Ce dessin emblématique, fait pour surexciter des haines, dans un temps où il faudrait surtout se préoccuper de les apaiser, ne répond point à la réalité. Vingt-neuf entrepreneuses ont été interrogées par l’Office du travail. Sans doute il ne faut pas s’en rapporter aveuglément à leur témoignage au sujet des bénéfices réalisés par elles. Mais ce que l’enquête a établi ce sont les conditions de leur existence. Or il appert de l’enquête