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lorsqu’elle adjure acheteurs et surtout acheteuses de se préoccuper des conséquences que leurs exigences peuvent avoir sur les veillées et le repos du dimanche. Elle a raison encore lorsqu’elle inscrit sur sa Liste blanche les maisons où les enquêtes conduites par elle lui permettent d’affirmer qu’ouvriers et ouvrières travaillent dans des conditions satisfaisantes au point de vue de la moralité, de l’hygiène et des salaires. Mais elle se trompe, suivant moi, quand elle veut organiser une sorte de boycottage des magasins où l’on vend bon marché, et lorsqu’elle adjure ses adhérens, entre deux objets d’égale qualité, d’acheter toujours le plus cher. D’abord en soi, rien n’est bon marché, rien n’est cher et les objets n’ont pas un prix absolu au-dessous ou au-dessus duquel ils ne devraient pas se vendre. Ensuite c’est une erreur de croire que le bon marché d’un objet s’obtient toujours aux dépens du salaire des ouvrières. Les facteurs du prix de revient sont nombreux ; un achat habile de la matière première, une réduction intelligente des frais généraux peuvent contribuer au bon marché, et parce que tel objet de toilette, une chemisette par exemple, sera vendu 5 francs dans un magasin et 4 francs dans un autre, il ne faut nullement en conclure que l’ouvrière qui a confectionné la première a été mieux payée que celle qui a confectionné la seconde. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que le bon marché profite à tout le monde, non pas seulement à cette catégorie des riches acheteuses que la Ligue poursuit de ses vitupérations, mais à une catégorie beaucoup plus modeste, composée pour partie de travailleurs manuels, pour partie de personnes qui, sans appartenir au monde du travail, vivent, à Paris surtout, d’économies, parfois de privations : employés, petits fonctionnaires, voire même petits rentiers. Ce modeste monde, qui est astreint à certaines exigences de tenue extérieure et qui, comme on dit familièrement, joint péniblement les deux bouts, n’est pas non plus indigne d’intérêt. Si la Ligue sociale d’acheteurs forçait par ce boycottage les grands magasins à relever leurs prix, il en éprouverait un préjudice sensible qui atteindrait même par répercussion celles auxquelles on veut venir en aide, car il restreindrait ses achats et, par une conséquence forcée, diminuerait la quantité du travail demandé.

Quelques personnes croient trouver un remède dans la suppression des intermédiaires, de l’entrepreneuse, de cette pauvre entrepreneuse qu’on poursuit également de vitupérations, voire