Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/600

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
596
REVUE DES DEUX MONDES.

dernières semaines, devaient, par ordre de la Faculté, demeurer pour neuf jours éloignés de Choisy. Seul M. de Sartine, lieutenant général de police, vit un moment Louis XVI, qui lui recommanda deux choses : « une grande vigilance sur les mœurs, » et d’autre part, « le soulagement des pauvres » par l’abaissement du prix du pain. Mû par une pensée analogue, le Roi supprima du même coup, pour lui comme pour les siens, l’extraordinaire de la bouche : « Je nourris ma famille, mais simplement, » dit-il en formulant cet ordre. Et de fait, tout le temps du séjour à Choisy, la table fut frugale, le train de vie sans faste. Tous ces détails, connus, colportés, commentés, produisaient sur l’esprit public l’impression la plus favorable.


II

C’est une vérité reconnue que chaque souverain rencontre, en montant sur le trône, une bonne volonté générale qui facilite ses commencemens. Comme les individus, les peuples goûtent la nouveauté, car tout changement implique une espérance. Ce sentiment se faisait jour avec une force toute spéciale après un règne de cinquante-neuf ans, dont le déclin, chargé de fautes sans nombre, avait fait oublier de tous, et jusqu’à l’injustice, les périodes de prospérité et de gloire réelle du début. Au jeune homme de vingt ans qui ceignait la couronne, il ne fallait pas moins que cette sympathie unanime et l’encouragement populaire pour compenser les périls et les embarras de la plus lourde succession qu’aucun prince héritier eût jamais recueillie.

La France, à la mort de Louis XV, était comme un homme vieillissant, dont le corps paraîtrait encore droit et robuste, mais dont tous les organes vitaux seraient attaqués et rongés par un virus subtil. Vers quelque endroit que l’on tournât les yeux, se révélaient les indices de ce mal funeste. L’antique instrument de nos gloires militaires, l’armée de Lawfelt, de Fontenoy, avait été profondément atteinte par les désastres de la guerre de Sept Ans. Les soldats sans doute restaient braves, les chefs prêts à faire leur devoir au feu, mais il manquait la confiance, le prestige, ce qui est l’âme de la victoire. D’ailleurs, l’argent faisait défaut pour réparer les brèches d’un armement insuffisant, comme l’énergie pour remédier aux vices d’une organisation reconnue défectueuse. La situation financière était encore plus