Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
601
AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

Marmontel[1], lorsque Louis XIV s’amusait à engloutir des millions dans Versailles, Trianon ou Marly, on applaudissait ; et lorsqu’un jeune Roi s’amuse à tourner une boîte ou à limer une clé, qui ne coûtera que cinq sols à son peuple, on y trouve peu de décence. En vérité, les hommes méritent d’être malheureux ! » Il est certain que sa constitution sanguine, et le soin même de sa santé, lui faisaient une nécessité de l’exercice et du mouvement ; robuste au point que, dans l’intimité, il se divertissait à jucher un jeune page sur une énorme pelle à feu et à faire le tour de la chambre en le portant à bras tendu. À la chasse, assure d’Allonville, on le voyait souvent « descendre de cheval pour couper du bois et exercer sa force par d’autres violens travaux. » La même raison explique son extraordinaire appétit. Peu raffiné d’ailleurs, il ne mangeait que les mets les plus simples, de même qu’il ne buvait de vin pur qu’au dessert ; ce qu’on a raconté de son intempérance paraît n’être qu’une calomnie, que rien ne justifie. Disons encore que, dans les premières années de son règne, — et avant le découragement résultant de tant d’insuccès, — les heures qu’il consacrait aux exercices du corps ne furent jamais dérobées au travail. La chasse, sa grande passion, était fréquemment délaissée pour le devoir royal, et, informé des plaisanteries qui couraient dans la capitale sur son goût pour la serrurerie, il renonça pour de longs mois à ce passe-temps inoffensif.

Le moral était, chez Louis XVI, en accord avec le physique : un défaut absolu de brillant et de séduction, un esprit sain, solide et lourd. « Cet homme est un peu faible, mais point imbécile, mandait l’empereur Joseph II à son frère Léopold après son séjour à Versailles[2]. Il a des notions, il a du jugement, mais c’est une apathie de corps comme d’esprit. Il fait, des conversations raisonnables ; il n’a aucun goût de s’instruire, ni curiosité. Enfin le fiat lux n’est pas venu ; la matière est encore en globe. » Ce jugement d’un beau-frère, bien qu’assez juste en soi, pèche par excès de sévérité. L’esprit du nouveau Roi ne manquait en effet ni d’étendue ni de lucidité ; sa mémoire était remarquable, et, bien qu’il eût été médiocrement instruit, il avait en histoire, en géographie, en science mathématique, des lumières

  1. Lettre du 27 avril 1716 à Mme Necker. — Archives de Coppet.
  2. Lettre du 9 juin 1775. Introduction à la Correspondance de Mercy-Argenteau publiée par le chevalier d’Arneth.