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fort supérieures à celles de la plupart de ses sujets. Avec cela, de la méthode, de la réflexion, du bon sens ; mais une lenteur de conception et une gaucherie intellectuelle qui l’empêchaient souvent de mettre ces dons à profit et le laissaient déconcerté, ou cabré brusquement, devant une objection, une difficulté imprévue.

Même maladresse à employer ses qualités de cœur et ses réelles vertus. Sensible et bon, voulant le bien avec sincérité, il blesse à chaque instant les gens par des mots malheureux, des plaisanteries brutales et d’inutiles coups de boutoir. Il n’est jamais aussi fâcheux que lorsqu’il est de belle humeur. « Au coucher, rapporte le duc de Croy[1], il tournaille plus d’une demi-heure, cherchant à ricaner sur tout, à faire des plaisanteries sur rien. J’aurais bien désiré un meilleur ton pour lui ! » Il compatit à la misère des pauvres, il fait lui-même la charité, allant parfois de bon matin, seul à pied, dans Versailles, visiter incognito des familles indigentes. Surpris un jour dans cette occupation, et voyant sur le seuil de la maison dont il sortait un groupe nombreux de gardes et de gentilshommes : « Parbleu ! messieurs, leur disait-il en riant, il est cruel que je ne puisse aller en bonne fortune sans que vous le sachiez ! » Ces façons, ce langage, qui eussent pu lui valoir l’amour de la classe populaire, une légende à la Henri IV, perdaient tout leur effet par suite d’une mesquinerie, d’une parcimonie de détail, qui lui donnaient, à tort, un renom d’avarice. C’est ainsi, nous dit-on, qu’en écrivant ses lettres, il économisait le papier avec un soin risible, se fâchant pour une feuille inutilement gâchée, et qu’il gardait ses vieux habits jusqu’à l’extrême limite, n’octroyant aux valets qu’une défroque hors d’usage. Bref, il semblait qu’une méchante fée, sans détruire ses mérites, lui eût ôté la faculté d’en tirer avantage. Il fallait, a-t-on dit, « fermer les yeux pour lui rendre justice. » Et on a pu lui appliquer, avec trop de justesse, le mot de la marquise de Sévigné sur cet homme de son temps qui, disait-elle, avait eu « besoin d’être tué pour être solidement estimé[2]. »

Mais ce qui manque par-dessus toute chose à Louis XVI, c’est le don essentiel qui, chez un souverain absolu, tient lieu de presque tous les autres et sans lequel tous les autres sont

  1. Journal du duc de Croy.
  2. Souvenirs du baron de Frémilly.