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Malgré l’insuffisance de ce personnel politique, bien des gens estimaient que le plus sage était d’attendre et de laisser toutes choses provisoirement en place, pour se donner le loisir de la réflexion. C’est le conseil que donnait à sa fille l’impératrice Marie-Thérèse : « Ne précipitez rien ; voyez par vos propres yeux ; ne changez rien ; laissez tout continuer de même[1]. » Cette attitude d’expectative convenait à l’humeur indécise du Roi. Des scrupules cependant agitaient sa conscience : les ministres actuels, ayant tous approché Louis XV pendant sa maladie, étaient, comme je l’ai dit plus haut, bannis encore pour une semaine hors de la présence du souverain, qui se voyait avec effroi, pendant toute cette période, privé de direction et livré à ses propres forces. Sa jeunesse, son inexpérience risquaient, se disait-il, de lui faire commettre des fautes. Dans cette perplexité, un expédient s’offrit à son esprit : ne pourrait-il se choisir un guide, un « mentor, » un homme d’État d’une autorité reconnue, et le prendre pour conseiller sans lui confier de portefeuille ? Ainsi parerait-il au présent sans engager l’avenir.

Le surlendemain de l’avènement, cette résolution était prise. L’homme restait à trouver, et là commençait l’embarras[2]. Faire ce choix à lui seul, son caractère y répugnait ; mais où se renseigner ? Consulter Marie-Antoinette ? Il connaissait par avance sa réponse : elle indiquerait Choiseul, « l’ami de sa famille, » le confident de son arrivée à Versailles, et toutes les préventions du Roi se soulevaient contre cette idée. Il lui vint alors la pensée de recourir aux lumières de ses tantes. Elles se trouvaient précisément à sa portée et dans son voisinage ; l’ordre, d’abord donné, d’expédier les princesses au pavillon de Trianon, où elles seraient inoculées, avait été, sur leur demande, changé au moment du départ ; elles occupaient le petit château de Choisy, au grand ennui de Marie-Antoinette, qui flairait un péril dans cette proximité.

Jamais soupçons ne furent plus promptement justifiés. Dans l’après-midi du 12 mai, à l’insu de la Reine, un petit conseil

  1. Lettre du 18 mai 1714. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Pour le récit qui suit, j’ai consulté les Mémoires de Soulavie, de Mme Campan, de l’abbé Georgel, de Morellet, de Mme de Genlis, les Souvenirs de Moreau, le Journal du duc de Croy, le journal inédit de l’abbé de Véri, la Correspondance de Mercy-Argenteau, de Mme du Deffand, etc.