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AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

d’un juge difficile ne semble pas exagéré. Ce premier passage au pouvoir, qui dura près d’un quart de siècle, sans avoir jeté grand éclat, fit honneur à Maurepas, par les qualités qu’il montra d’intelligence, d’activité, de désintéressement. Louis XV, dont il était le compagnon d’enfance, lui témoignait affection et confiance. Aussi ce fut une stupeur générale quand, en avril 1749, on apprit un matin le brusque coup de théâtre qui lui enlevait emplois et dignités et l’exilait loin de la Cour.

Sur les causes immédiates et sur les circonstances précises de ce revirement imprévu, la lumière n’est pas encore faite. Le seul point hors de doute est que Maurepas, depuis plusieurs années, vivait en mauvais termes avec Mme de Pompadour et que sa chute fut l’œuvre de la favorite. Mais quel fut le grief invoqué contre lui ? Nous sommes ici réduits aux conjectures. « Il suffit, dit gravement Barbier[1], que le Roi soit attaché à une femme, quelle qu’elle soit, pour qu’elle devienne respectable à tous ses sujets. » Or le ministre de la Marine se pliait mal à ce devoir, et son humeur caustique n’épargnait pas l’obscure bourgeoise qui avait usurpé une place jusqu’alors réservée aux femmes de haute lignée. On parle d’un souper chez lui où l’on chanta certains couplets sur la maîtresse et son auguste amant, des couplets d’une verve cinglante, dont, bien qu’il s’en défendît, tous les convives le crurent l’auteur. Quoi qu’il en soit de l’anecdote, une lettre de cachet, apportée à Maurepas par son propre beau-frère, Je duc de La Vrillière[2], qui avait hérité de l’emploi paternel, le confinait à Bourges, d’où, sept années plus tard, il obtenait la permission de regagner Pontchartrain et Paris. La défense subsista de rentrer à la Cour ; cette interdiction fut maintenue jusqu’à la fin du règne, et Maurepas, pendant vingt-cinq ans, ne reparut pas à Versailles.

Son insouciance et sa gaîté le servirent dans cette longue épreuve. « Le premier jour, je fus piqué, le lendemain, j’étais consolé, » a-t-il écrit en rappelant sa disgrâce. Les charmes de l’amitié lui furent aussi d’un grand secours. Peu d’hommes eurent plus d’amis que le comte de Maurepas, et, comme il leur était fidèle, il en fut payé de retour. Sa belle demeure de Pontchartrain, située à peu de distance de Versailles, ne

  1. Journal de l’avocat Barbier.
  2. D’après d’autres récits, Maurepas aurait été informé d’abord par d’Argenson que La Vrillière avait suivi de près.