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vraisemblablement encore, — ce sont ceux qui ont pour titre De la grandeur romaine et Un mot de Cæsar, — paraissent bien, pour la même raison, dater de cette époque. Quant aux autres citations du même auteur ou allusions parsemées çà et là, elles peuvent nous servir, surtout si nous rencontrons, pour nous y appuyer, d’autres indications convergentes, à dater, sinon certains autres chapitres, tout au moins certains fragmens d’autres chapitres[1].

Ce ne sont pas là les seuls moyens dont nous disposions pour dater quelques-unes des lectures de Montaigne. Entre 1572 et 1580, bien des ouvrages ont paru, que l’auteur des Essais a dû lire en leur « fraîche nouvelleté. » Si l’on retrouve dans son œuvre des traces visibles de ces lectures, l’on pourra affirmer, à tout le moins, que tel ou tel passage, tel chapitre peut-être, n’a pas été écrit avant telle ou telle époque. M. Villey qui a beaucoup lu, — et beaucoup retenu, — autour de Montaigne, a retrouvé plusieurs de ces sources jusqu’à lui insoupçonnées, et ses découvertes lui ont permis d’enrichir et de préciser sur plusieurs points la chronologie des Essais.

Enfin, dans son très légitime désir de pousser la précision jusqu’à ses extrêmes limites, il a eu recours à un procédé qu’il n’est peut-être pas très aisé de bien faire entendre, mais qui dénote une rare ingéniosité. Il observe que les livres de Montaigne se répartissent tout naturellement en deux catégories : ses livres de chevet, Lucrèce. Horace, par exemple, — qu’il cite chacun près de cent cinquante fois ; — et ceux qu’il a lus une seule fois dans sa vie, qu’il utilise à ce moment-là, et dont ensuite il ne s’occupe plus. Recherchons ces derniers, et retrouvons avec soin les emprunts que Montaigne leur a faits. Si ces emprunts sont importans, forment une maîtresse pièce des chapitres où ils sont insérés, il y a lieu de conjecturer que ces divers chapitres sont à peu près contemporains. Supposons que, par un moyen quelconque, on arrive à dater l’un d’eux ; les voilà tous datés du même coup. Supposons enfin qu’un ou plusieurs de ces chapitres fassent aussi des emprunts considérables

  1. J’aurais bien une petite objection à formuler, et sur laquelle j’insisterais davantage si M. Villey ne l’avait pas lui-même pressentie quelque part, et si, en général, il n’était pas, dans ses conjectures chronologiques, d’une louable prudence ; et cette objection, la voici : Montaigne a pu lire César, ou du moins le feuilleter, plusieurs fois dans sa vie.