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à un autre ouvrage de celle même catégorie ; nous serons induits à conclure que Montaigne lisait à la même date cet autre ouvrage, et donc, à rapporter à la même époque les autres chapitres où nous trouvons abondamment cité et utilisé le livre en question.

Précisons par des exemples ce que ces indications sommaires ont nécessairement d’un peu vague et abstrait. Soit Guichardin qui est, de l’aveu même de Montaigne, un des auteurs « desquels il ne se veut servir qu’une fois. » L’écrivain italien a fourni une importante contribution au moins à six essais différens du premier livre. Resterait à savoir quand Guichardin a été lu par Montaigne. Mais celui-ci va nous mettre généreusement sur la voie. « Voici, dit-il, ce que je mis, il y a environ dix ans, en mon Guicciardin. » — « C’est, écrit à ce propos M. Villey, c’est, à peu de chose près, le temps qui sépare la retraite de Montaigne de la publication des premiers Essais. Il est probable que le chapitre Des livres, où il s’exprime ainsi, est de l’année 1580, ou de fort peu antérieur à cette date, comme d’ailleurs plusieurs indices invitent à le penser, et que la lecture de Guichardin est des premiers temps de la retraite. S’il en est ainsi, les essais qui se bâtissent sur des faits empruntés à Guichardin sont probablement des années 1571 ou 1572. »

Les Mémoires des frères Du Bellay, nous le savons encore par Montaigne, rentrent eux aussi dans la catégorie des lectures faites une fois pour toutes. Ils ont été utilisés dans quatorze essais différens ; très vraisemblablement, ces quatorze essais ont été composés vers le même temps ; « ils forment grappe » en quelque sorte, suivant l’heureuse expression de M. Villey. Mais cinq de ces chapitres faisaient déjà partie du groupe précédent. C’est dire que Montaigne lisait vers la même époque Guichardin et les frères Du Bellay, et les utilisait à peu près en même temps. Et donc, voici quinze chapitres des Essais qui se trouvent, du même coup, datés de 1571 ou 1572.

Rassemblons maintenant toutes ces indications éparses ; éclairons-les les unes par les autres ; faisons jouer, si l’on peut ainsi dire, toutes ces méthodes ensemble ; interprétons avec prudence et totalisons les résultats qu’elles fournissent ; sachons surtout, comme disait Pascal, « douter où il faut, assurer où il faut. »Et nous pourrons nous représenter avec une certaine vraisemblance toute la suite du travail de Montaigne de 1571 à 1592.