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scepticisme de l’auteur des Essais a atteint son point culminant, et Montaigne a voulu, par cette médaille, perpétuer le souvenir de la crise intellectuelle qu’il traverse. Jusqu’où exactement est allé ce scepticisme ? A-t-il été simplement d’ordre métaphysique ? ou d’ordre religieux ? En d’autres termes encore, le doute qui l’envahit alors, et qui, — l’Apologie de Raymond Sebond en témoigne éloquemment, — a ruiné si profondément la confiance de l’écrivain dans le pouvoir de la raison raisonnante, ce doute a-t-il atteint, ne fût-ce qu’un moment, ses croyances religieuses ? La question est obscure, et, Montaigne ne nous ayant point fait de confidences à cet égard, nous en sommes réduits aux simples conjectures. Il n’est pas impossible que, pendant un temps plus ou moins long, le scepticisme de l’auteur des Essais ait été complet, absolu, et que sa foi chrétienne elle-même en ait été entamée. Il est possible aussi qu’il ait su la mettre à l’abri des objections et des doutes : soit que ses croyances religieuses ne fussent pas assez profondes pour entrer en lice et courir les risques d’un combat singulier ; soit que, par bon sens, esprit de modération et de prudence, il les ait mises résolument à part. Ce qui est sûr, c’est que la crise, quelles qu’en aient été la nature, la durée et l’issue, n’a point été douloureuse. Ce drame d’idées s’est joué pacifiquement devant une conscience sereine et souriante. Montaigne n’est pas l’homme des conflits tragiques. Les luttes corps à corps et sans merci ne sont point son fait. Il n’est pas de ceux qui, pour perdre ou pour conquérir une croyance, se blessent désespérément à toutes les pierres du chemin : les agonies morales, les sueurs de sang lui sont demeurées étrangères. Il ne faut pas demander au dilettante des Essais de concevoir et d’écrire le Mystère de Jésus.

Mais de cette crise, qui, visiblement, fut surtout une crise intellectuelle, la pensée religieuse de Montaigne n’en est pas moins sortie renouvelée. Si l’Apologie de Raymond Sebond a un sens, c’est que la raison humaine est impuissante à prouver la religion. Parmi bien des contradictions, des précautions oratoires, des ironies ou des naïvetés, à travers tous les méandres d’une pensée étrangement sinueuse, et dispersée, et vagabonde, telle est bien l’idée maîtresse qui se dégage et finalement s’impose. Sous l’influence de Sextus, Montaigne a scruté les fondemens de nos connaissances, et il les a trouvés caducs et ruineux. Il a fait à sa manière « la critique de la raison pure : » mieux