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pas que l’exil suivît le renvoi, comme il était alors d’usage. D’Aiguillon conserva sa charge de capitaine des chevau-légers et pût reparaître à la Cour, « chose rare, » dit le duc de Croy, et dont on fit honneur à Marie-Antoinette. Il est triste d’avoir à dire que cette mesure d’indulgence relative tourna au détriment de celle qui l’avait inspirée. D’Aiguillon, en effet, oublia la modération pour ne retenir que l’offense. Il établit sa demeure à Paris, y vécut aigri, mécontent, entouré d’une « cabale, » d’une clientèle de gens obscurs qui le reconnaissaient pour chef et prenaient chez lui le mot d’ordre. Ce fut, dit-on, le centre des premières attaques qui assaillirent la réputation de la Reine. De là partirent les mots piquans et les anecdotes scandaleuses, les libelles, les vers, les chansons, tout l’arsenal des traits empoisonnés qui, dirigés contre la femme, atteignaient aussi la souveraine, ébranlaient graduellement le prestige de la royauté. Nous verrons bientôt d’Aiguillon trouver, pour cette triste besogne, des auxiliaires inattendus jusque sur les marches du trône.


III

Les choses s’étaient passées si vite que d’Aiguillon était parti avant qu’on eût eu le loisir de pourvoir à sa succession. Berlin, selon l’habitude établie, lit l’intérim les premiers jours. Le bruit courut même un instant qu’il garderait le portefeuille des Affaires étrangères, et l’on rappelait déjà l’un des mots de Choiseul. : « C’est un bon petit homme fort honnête, disait au duc un ami de Bertin. — Oui, répliquait Choiseul, c’est du vin à deux sous qui n’est pas frelaté. » Il fallut attendre au 5 juin pour connaître les titulaires des deux départemens vacans ; les noms publiés à cette date, pour n’être pas de ceux que prononçaient d’avance les gens bien informés, faisaient pourtant bien augurer de la sagacité royale.

Le comte du Muy, gouverneur de la Flandre[1], qui fut créé ministre de la Guerre, avait été le menin du Dauphin, père de Louis XVI, et les notes posthumes de ce prince l’honoraient d’une mention spécialement chaleureuse. Bon militaire, encore que peu heureux sur les champs de bataille, c’était

  1. Il fut fait maréchal de France quelques mois après son entrée au ministère.