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fut à son apogée. Le nom d’Henri IV était sur toutes les lèvres, et l’on prêtait au descendant toutes les vertus légendaires de l’ancêtre. A la statue du Béarnais dressée sur le Pont-Neuf on attachait un écriteau portant ce mot : resurrexit. On vendit au Palais-Royal des boites où l’on voyait les profils accouplés de Louis XII et de Henri IV, au-dessous celui de Louis XVI, et cette devise au bas : « XII et IV font XVI. » On fabriqua des tabatières revêtues de peau de chagrin, ornées de médaillons du Roi et de la Reine, et baptisées par l’inventeur : La consolation dans le chagrin. Ces objets firent fureur pendant plusieurs semaines.

Les jeunes souverains jouissaient de ces témoignages populaires. Aux dithyrambes de l’Impératrice écrivant à sa fille : « Tout est en extase, tout est fou de vous autres ; on se promet le plus grand bonheur, et vous faites revivre une nation qui était aux abois, » Marie-Antoinette répondait : « Il est bien vrai que les éloges et l’admiration pour le Roi ont retenti partout. » Toutefois, un éclair de sagesse lui montrait la fragilité d’un si prompt engouement : « Je suis inquiète, reprenait-elle, de cet enthousiasme français pour l’avenir… Le feu Roi a laissé les choses en très mauvais état ; les esprits sont divisés, et il sera impossible de contenter tout le monde, dans un pays où la vivacité voudrait que tout fût fait dans un moment[1]. »

L’habileté de Maurepas fut de montrer au Roi, dans cette explosion d’allégresse, une manifestation du sentiment public en faveur du rappel de l’ancien parlement et d’en tirer parti pour hâter l’entreprise. Il espérait, sur ce terrain, trouver comme auxiliaire le nouveau ministre de la marine. Non que Turgot, par tradition, fût partisan déterminé des prétentions de la magistrature. Tout au contraire, du temps de sa jeunesse, il avait refusé, comme conseiller au parlement de Paris, de s’associer aux résistances du corps dont il faisait partie. Même, en 1753, lors d’un premier exil des magistrats rebelles, il avait accepté une place dans une espèce de Chambre provisoire instituée par Louis XV, et s’était ainsi attiré l’indignation de ses confrères. Ami du pouvoir absolu, convaincu que l’autorité doit résider essentiellement dans la personne du Roi, il condamnait en principe toute atteinte portée à cette puissance souveraine. Aujourd’hui cependant, devant les périls imminens et les

  1. Lettre du 30 juillet 1774. Correspondance publiée par d’Arneth.