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impérial. Ces jeunes gens n’étaient assurément pas des révolutionnaires militans. Cependant, je constatai chez tous une exaltation pareille. Je compris immédiatement pourquoi le lycée de Galata était en défaveur auprès de l’autorité. Les conseillers du Sultan le lui signalaient, paraît-il, comme une pépinière de conspirateurs, et l’on m’annonçait qu’avant peu l’établissement serait fermé par décret. Ce décret fut inutile. Providentiellement, le lycée brûla trois mois plus tard : ce qui épargna au gouvernement de vaines formalités et aussi quelques ennuis diplomatiques.

Un de ces jeunes gens voulut bien me recevoir chez lui, en même temps que ses camarades. Je fus accueilli avec cette cordialité traditionnelle qui caractérise l’hospitalité orientale, et je dois ajouter : avec un peu de cette sympathie qui s’attache, là-bas, à tout ce qui est Français. A part la petite table pour le café, le mobilier était absolument européen. Je pouvais me croire chez un de nos étudians du quartier Latin. Des revues scientifiques ou littéraires traînaient sur le divan. On me montra même quelques romans parisiens, — les « dernières nouveautés » que je n’avais pu lire au cours de mes pérégrinations. Et ce qui perçait dans toutes les paroles de mes hôtes, c’était leur arrière-pensée de me prouver qu’ils n’étaient point les barbares, les fanatiques ignorans que supposait toujours le préjugé occidental : souci bien superflu avec moi, et dont l’insistance m’attendrissait !…

Soudain, l’un d’eux prit sur une étagère un livre français récemment paru, et il nous lut un passage où l’auteur, après avoir loué dans les termes les plus admiratifs la politique et l’administration du Sultan, souhaitait aux bons Turcs d’en éprouver longtemps encore les bienfaits. Je suis obligé de reconnaître que ces vœux réactionnaires furent amèrement raillés par cette jeunesse, qui malmena fort notre compatriote. Une chose surtout les irritait, c’est qu’il dépeignît les femmes turques comme affublées d’un costume quasi monacal, qu’il les représentât comme des « sœurs grises » ou des « sœurs noires » ensevelies sous les voiles du yachmak ou du tcharchaff… » Justement, une fillette de dix ou douze ans, la propre nièce du maître de la maison, jouait à l’autre bout de la pièce. Celui-ci l’appela, et, lui saisissant le menton entre le pouce et l’index :

— Vous voyez, me dit-il, si ce petit diable est une « sœur