Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/858

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa grandeur. Puis, les voitures du harem, des coupés très simples aux stores à demi baissés, derrière lesquels on surprend une main gantée de blanc qui joue de l’éventail… Enfin une rumeur se propage, les zouaves se mettent au port d’armes. Puis un silence de mort. C’est lui !… On nous intime l’ordre de nous découvrir. Du haut du minaret de la mosquée, le muezzin entonne l’appel à la prière, tandis que s’élève une immense acclamation poussée par les troupes, une acclamation de commande, disciplinée, où ne vibre aucun élan, et, avant qu’elle ne soit achevée, l’hymne de Donizetti joué par un orchestre recouvre toutes les clameurs. Nos regards sont tendus vers Yldiz. Un cavalier ouvre la marche, et, presque aussitôt après, au milieu d’une escorte de zouaves, émerge une Victoria de très modeste apparence. Affalé sur les coussins, en redingote et pardessus, sa grande figure blême se détachant dans l’ombre de la capote, Abd-ul-Hamid se soulève péniblement pour répondre aux vivats des troupes. Il avance, il est à dix pas de nous, au pied de la terrasse, où les policiers contiennent difficilement nos curiosités. Galamment, avec une aisance de gentilhomme, il salue les femmes d’une légère inclination de tête. Le voici tout près ! Je le regarde : à peine ai-je noté la finesse aristocratique du profil, l’éclair intelligent des prunelles, que je suis frappé par la maigreur et la lividité terreuse de la face enfoncée dans un flot de barbe grisonnante, — par je ne sais quoi de convulsif qui raidit ses membres et qui dément la hauteur feinte de son indifférence… Il est passé. La Victoria bourgeoise a franchi les grilles de la mosquée. Les chambellans se précipitent vers le Maître, et, lui passant le bras sous les aisselles, le portant presque, lui font gravir les escaliers de la vérandah par où l’on accède dans le sanctuaire…

Depuis vingt minutes, il a disparu sous la petite porte blanche de la vérandah. Quand ressortira-t-il ? Les touristes s’impatientent :

— Il n’y a pas d’heure ! nous répète le drogman. Tantôt Sa Majesté réapparaît au bout de cinq minutes. D’autres fois, Elle prolonge indéfiniment sa prière, toujours pour la même raison : il s’agit de déjouer les calculs de conspirateurs possibles !

Cependant, le défilé des dignitaires recommence, en sens inverse : un par un, à des intervalles très inégaux, ils